Voyeurisme universel, sursaturation d'images, hackerazzis, utopies de transparence, identités faites sur mesure... Telles sont les réalités du nouvel ordre visuel mondial. Ce sont aussi les outils avec lesquels composent les artistes du 14e Mois de la photo de Montréal, qui se déroule du 10 septembre au 11 octobre dans 16 lieux de diffusion.

Le commissaire de la Biennale internationale de l'image contemporaine, Joan Fontcuberta, ne tarissait pas d'images hier pour parler du travail, entre réalité et imaginaire, des 29 artistes en provenance de 11 pays qu'il a recrutés pour l'événement.

«On peut parler de réalité "reloadée" comme dans le film Matrix, dit-il. Oubliez le Big Brother, maintenant, c'est le Big Data.»

«On habite l'écran aujourd'hui. Il y a la vie à l'écran et il y a la vie en dehors de l'écran.»

La thématique de cette année, «la condition post-photographique», se décline très différemment chez chacun de ces artistes qui pratiquent d'ailleurs souvent plus que la photographie.

«La technologie formate les consciences et la société, d'expliquer le commissaire catalan. Mais la condition post-photographique n'est pas une esthétique ni une technique, pas plus qu'un mouvement de l'histoire de l'art.»

Bref, la photo de nos jours n'a plus rien de cliché. Le rôle de l'artiste, en ce sens, n'est plus seulement de «fabriquer une oeuvre», mais, se servant entre autres des nouvelles technologies et du web, de «donner du sens» à ce qui, à priori, n'en a pas toujours dans la surabondance d'images du monde moderne.

En plus des expositions, le 14e Mois de la photo propose une vingtaine d'ateliers, conférences, vernissages, discussions, visites guidées et autres programmes éducatifs.

Roberto Pellegrinuzzi

Le photographe montréalais a créé une installation représentant un nuage réel - par opposition au nuage virtuel informatique - composé de 275 000 minuscules photos qu'il a prises pendant 16 mois, mitraillant littéralement n'importe quoi autour de lui. 

«L'idée était d'imager la masse d'informations qu'un capteur numérique est capable de produire. Je voulais ensuite mettre les images dans un espace. J'ai enlevé le flash et travaillé en mode manuel, sans aucun trucage. Les photos sont agencées sur 6000 fils de façon aléatoire. C'est vraiment n'importe quoi, je ne pouvais pas cadrer, puisque ça prend trop de temps. Mais j'ai sorti une vingtaine de photos qui sont un peu les trophées de cette expérience et que j'expose chez Pierre-François Ouellette.»

Mémoires, à la Parisian Laundry jusqu'au 11 octobre.

Andreas Rutkauskas

Andreas Rutkauskas aime prendre des photos de paysages. Il a eu l'idée de comparer ses photos à ce qu'on retrouve sur Google Earth. Selon lui, la nature n'y perd pas au change.

«Avec ce projet, je voulais laisser l'appareillage de côté au profit de l'expérience. La présentation de la nature à travers la technologie nous rappelle qu'une image est une construction. Même si on prend une photo de la nature en direct, il y a des limites, des interventions sur le paysage lui-même, des règlements encadrant la faune et la flore. Donc, une photo du même paysage sur Google Earth a quelque chose à offrir de différent au spectateur. C'est aussi une façon de témoigner de notre relation à l'espace et au paysage.»

Virtuellement présent, à la maison de la culture Frontenac jusqu'au 10 octobre.

Dominique Blain

Dominique Blain présente un triptyque vidéo qui pourrait s'intituler «Un pour tous, tous pour un». Il présente des images de soulèvements ayant eu lieu dans le monde au cours des dernières décennies. Ces vidéos entourent des images de dissidents, connus ou non, ayant pris part à ces événements marquants de l'histoire récente. 

«J'ai fait un choix assez personnel, décrit-elle. Ma vie a été marquée par des événements comme la place Tiananmen ou la chute du mur de Berlin. La musique de Zoe Keating est émotive, sans être cinématographique. Ces soulèvements ont toujours existé et ça provoque le questionnement, mais qu'est-ce que ça donne? En même temps, ces images parlent de courage et de résilience. C'est complexe. Comme le dit François Ricard, si Mai 68 a été le début de quelque chose, c'est du néo-libéralisme et de l'individualisme.»

Émergence, à la Parisian Laundry jusqu'au 11 octobre.

PHOTO FOURNIE PAR DOMINIQUE BLAIN

Émergence, 2015, installation vidéo, maquette de l'installation.

Isabelle Le Minh

Le projet de cette artiste française, Tous décavés, fait référence à Bertillon, l'inventeur des «portraits-robots». Isabelle Le Minh fait un clin d'oeil inquiet aux traces que nous laissons partout sur le web, notamment Facebook. Big Brother ou Big data? 

«Bertillon opérait un classement en fonction de caractéristiques presque caricaturales. Sur Facebook, les gens sont assez normés. L'idée n'était pas de les classer, mais de montrer que les gens livrent quelque chose d'eux-mêmes qui peut être utilisé à d'autres fins. Il faut savoir qu'au début, les portraits de portillons servaient à identifier les criminels, mais par la suite, à identifier les populations migrantes et ficher les gens dans les colonies françaises, comme en Algérie ou en Indochine. Donc, c'est étonnant de voir que les gens mettent toute leur vie sur Facebook. N'importe qui peut utiliser ces données.»

Tous décavés, À la galerie SBC jusqu'au 17 octobre.

PHOTO FOURNIE PAR ISABELLE LE MINH

Isabelle Le Minh, Tous décavés, 2015, portraits soufflés, After Alphonse Bertillon (détail), installation photographique, impression jet d'encre, dimensions variables.