Le Musée national de Bosnie, fondé au XIXe siècle et qui abrite la célèbre Haggadah de Sarajevo, ne reçoit plus les visiteurs depuis trois ans en raison des querelles politiques qui ont fauché son financement. Mais il est désormais occupé par des citoyens dénonçant une «honte».

«Nous ne partirons pas d'ici tant qu'une solution pour le financement du musée n'est pas trouvée», dit à l'AFP Ines Tanovic, responsable d'une initiative citoyenne baptisée «Je suis le musée».

Cette action a été lancée fin juillet avec une exposition de portraits faits par le photographe bosnien Zijad Gafic d'employés du musée qui continuent à venir à leur travail même s'ils n'ont pas touché de salaire depuis plus de trois ans.

Pour se solidariser avec eux et pour «garder» symboliquement le musée, des artistes, des intellectuels ou des citoyens refusant une «mort lente» de ce trésor national y viennent tous les jours assurer une permanence à leurs côtés.

«Nous nous sommes malheureusement habitués à ce que le Musée national soit fermé, mais c'est vraiment une tragédie», déplore Gorcin Dizdar, un jeune scientifique qui assure sa permanence.

D'après lui, la «faute» du musée est d'être «un des principaux symboles de l'État» dans un pays ethniquement divisé.

«Notre système politique a simplement été créé (après la guerre intercommunautaire de 1992-95, ndlr) pour enraciner les divisions (ethniques entre les communautés serbe, musulmane et croate). Dans un tel système, personne ne se sent responsable de l'État et de ses symboles», explique M. Dizdar.

Pays de 3,8 millions d'habitants, la Bosnie est divisée depuis le conflit en deux entités, l'une serbe et l'autre croato-musulmane, reliées par un faible gouvernement central. Or le domaine de la culture relève des entités, ce qui fait que le Musée national s'est retrouvé dans un vide institutionnel, sans financement systématique.

Dans ce contexte de divisions, constamment fomentées par des partis politiques nationalistes, les projets qui unissent sont souvent d'emblée condamnés à l'échec. D'une manière générale, l'Histoire est une pomme de discorde entre les communautés bosniennes.

«Le musée est un très bon exemple de l'incapacité des politiques basées sur la division à trouver des solutions à ce genre de problème», estime Srdjan Vuletic, un cinéaste local.

«Un trésor commun»

En 2012, le gouvernement central a réduit de 450 000 à 180 000 euros le budget annuel destiné au fonctionnement du musée, ce qui a conduit à sa fermeture en octobre 2012, pour la première fois depuis sa fondation en 1888.

Les employés - une cinquantaine, contre 120 avant la guerre -, ont alors cloué la porte d'entrée avec deux planches en bois arborant un message que l'on peut encore lire aujourd'hui: «Le musée est fermé».

Le ministre des Affaires civiles, Adil Osmanovic, également chargé de la Culture, a récemment dit chercher une solution de financement pour la période 2016-2018.

Dans le pays, six autres institutions culturelles, bibliothèques, galeries d'art et musées, sont actuellement touchées par le même mal.

«Après deux décennies, en ce qui me concerne, il m'est impossible de tourner le dos et de m'en aller», explique Berina Becic, 50 ans, commissaire du pavillon des sciences humaines: «Les collections dont je m'occupe sont vivantes, il s'agit du jardin botanique où il y a plus de 3000 sortes de plantes. Impossible de les laisser mourir!»

Les collections du plus grand musée de Bosnie comptent plus de 4 millions d'objets, dans les départements d'archéologie, d'ethnographie et des sciences humaines. Le Musée national a aussi une bibliothèque de plus de 250 000 ouvrages.

Il avait été fondé à l'époque où la Bosnie faisait partie de l'Empire austro-hongrois (1878-1914) et abrite notamment la célèbre Haggadah de Sarajevo, un manuscrit hébraïque enluminé du XIVe siècle, considéré comme le plus ancien du monde. Ce livre saint séfarade a traversé les siècles en survivant à l'Inquisition espagnole, à l'Holocauste et à la guerre bosnienne des années 1990.

«Il s'agit d'un musée très complexe et aussi du premier immeuble conçu en Europe du sud-est pour être un musée», précise Mme Tanovic.

Fierté de la capitale bosnienne, cet édifice construit dans le style néo-Renaissance et qui s'étend sur 24 000 mètres carrés est l'oeuvre de l'architecte tchèque Karel Parík.

«C'est le trésor de notre mémoire et de notre histoire communes. Tout ce qui se trouve ici appartient à tous les habitants de Bosnie», affirme un autre «gardien», Zdravko Grebo, professeur de droit à Sarajevo.

«Le temps est venu de mettre fin à cette affaire honteuse», ajoute-t-il.