D'Yves Saint Laurent à Ralph Lauren, les designers occidentaux n'ont cessé de s'inspirer de l'esthétique chinoise. Si ces «emprunts» ont parfois des relents de clichés néocolonialistes, ils n'en sont pas moins présentés de manière grandiose au Metropolitan Museum of Art de New York.

Le Metropolitan Museum of Art et le Costume Institute n'ont pas lésiné sur les moyens pour rendre hommage aux designers occidentaux fascinés par l'esthétique chinoise. Ils ont consacré trois fois plus d'espace qu'à l'accoutumée à leur exposition printanière intitulée Chine - De l'autre côté du miroir (d'après le titre de l'oeuvre de Lewis Carroll).

Films, oeuvres d'art, textile, porcelaine, calligraphie et pièces de haute couture se télescopent sur trois étages sous la direction artistique du réalisateur Wong Kar-wai (In the Mood for Love) et du chef décorateur Nathan Crowley. Le résultat est saisissant.

Présentée sous des éclairages tamisés et une myriade de jeux de miroirs, l'exposition qui occupe l'ensemble des galeries chinoises du Met, en plus de l'Anna Wintour Costume Center, semble avoir été conçue pour donner des palpitations à la génération Instagram.

Ici, des robes haute couture de John Galliano pour Dior sont disséminées dans un jardin chinois où se reflète une immense projection de la lune. Là, une forêt de bambous luminescents éclaire des pièces de Jean Paul Gaultier et de Craig Green.

Juxtaposant des oeuvres d'art ou des pièces originales portées par différents empereurs chinois et des créations de grands designers, l'expo est un constant jeu de ping-pong entre l'Orient et l'Occident, le passé et le présent, la fiction et le fantasme.

La Chine fantasmée

Soucieux de ne pas être accusés de verser dans le colonialisme esthétique, les organisateurs précisent dès le texte d'introduction que les créations ne représentent pas la Chine, mais une version fantasmée de la Chine.

«Comme le monde inventé d'Alice [au pays des merveilles], la Chine reflétée dans la mode est une version romancée, une fabuleuse invention offrant une réalité différente», a soutenu le conservateur Andrew Bolton en présentant l'expo, qui a exigé plus de deux ans de travail.

Parmi les pièces et les films présentés, certains frisent en effet la caricature. Une galerie est d'ailleurs consacrée à l'actrice américaine d'origine chinoise Anna Way Wong, qui, dans les années 20 et 30, jouait essentiellement deux rôles à Hollywood: l'Asiatique docile et soumise et la dangereuse «femme dragon».

Le réalisateur Wong Kar-wai, qui a lui-même choisi et monté les extraits de films présentés, tenait à ce que ces interprétations hollywoodiennes dépassées de la Chine fassent partie de l'expo, ne serait-ce que pour leur valeur historique.

«Que ce soit Fred Astaire interprétant un Chinois dansant avec un éventail ou Anna Way Wong dans un de ses rôles typiques de «femme dragon», on peut dire sans se tromper que ces représentations étaient loin d'être authentiques», a-t-il précisé, pince-sans-rire.

En tout, l'exposition présente plus de 140 pièces de haute couture et de prêt-à-porter d'avant-garde et une foule de créations chinoises. Il faut admettre que les organisateurs ont fait un travail de recherche phénoménal en parvenant à retrouver des dizaines de pièces originales qui ont servi à inspirer de grands designers comme Yves Saint Laurent, Paul Poiret ou Christian Dior.

Des espaces présentent également côte à côte des vêtements portés par des empereurs chinois ou de sublimes qipao (pensez aux élégantes robes de Maggie Cheung dans In the Mood for Love) et les créations qu'elles ont inspirées à des designers comme Tom Ford ou Marc Jacobs.

Relents d'eurocentrisme ou pas, il y a fort à parier que l'expo attirera un nombre record de visiteurs chinois. L'an passé, ils sont d'ailleurs devenus, pour la première fois, le plus important contingent de visiteurs étrangers au Met.

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L'exposition est présentée jusqu'au 16 août au Metropolitan Museum of Art de New York.