Artiste suisse de renommée internationale, Thomas Hirschhorn est une des vedettes de la Biennale de Montréal, où il expose son oeuvre vidéo Touching Reality. Une oeuvre pénible, choquante et difficile à regarder sans détourner la tête. Des images de cadavres humains qui remettent en question l'humanité... de l'humanité. Et notre incapacité de changer.

Sur la porte de la petite salle du Musée d'art contemporain où est projetée la vidéo Touching Reality de Thomas Hirschhorn, un avertissement a été placé:  

«Cette oeuvre comporte des images d'une extrême violence qui peuvent offenser certains visiteurs. Elle est déconseillée aux enfants.»

Pourtant, c'est presque le contraire que vise cet artiste provocateur qui estime qu'il est important de voir l'insoutenable et l'insupportable. Être sensible mais pas endormi. Pour comprendre toutes les facettes de l'être humain.

Être endormi devant Touching Reality? Ce n'est pas possible. La vidéo, comme un miroir de la société réelle, est insoutenable. Sur l'écran, des images de corps mutilés, brûlés, démembrés dans des guerres et des conflits défilent au rythme choisi par l'index d'une main féminine qui glisse sur une tablette électronique.

Parfois, la femme agrandit les photos sur l'écran tactile pour montrer les détails des blessures. Elle semble opérer de façon assez froide, passant d'une photo à une autre comme lors d'une inspection routinière.

Le bruit des images

Hirschhorn montre la réalité brutale et veut qu'on la regarde, qu'on la touche des yeux. Comme ce doigt qui fait défiler les images. Comme l'incrédule saint Thomas qui plonge son doigt dans une plaie du Christ dans la toile du Caravage datant de 1603.

Ces images sont diffusées dans le silence le plus complet. «Elles sont assez bruyantes comme ça, dit Thomas Hirschhorn à La Presse. Cela permet de se concentrer sur ce que c'est. En général, le son des vidéos altère notre attention. Le temps, le mouvement et l'image sont suffisants.»

Peut-on devenir insensible à force de voir ces photos d'horreurs de la guerre? Si on l'a cru, Hirschhorn en doute encore.

«On a déjà pensé que l'impact de l'image diminuait notre force morale. On ne peut plus regarder les choses de la même façon depuis qu'on a Twitter et Facebook.»

Hirschhorn juge qu'il est «important» de voir ces images parce qu'elles témoignent du fait que les conflits continuent malgré leur redondance et aussi parce qu'on ne les voit pas dans les grands médias. Pour ne pas choquer? Pour ne pas dire la vérité, insinue Hirschhorn.

Selon lui, leur «invisibilité» relève d'une stratégie, notamment pour éviter de «décourager l'effort de guerre». L'artiste cite Donald Rumsfeld, ex-secrétaire à la Défense de l'administration Bush: «La mort a tendance à encourager une idée déprimante de la guerre.»

Au-delà des faits

Quand on lui demande si son travail a pour but de nous conscientiser et de nous faire douter de ce qu'on voit et entend dans les médias, il répond: «Chaque oeuvre artistique est là pour qu'on doute ou qu'on soit transformé.» Il ajoute qu'on doit se méfier d'une information qui ne serait que factuelle. «Je ne nie pas les faits, dit-il, mais une histoire, ce n'est pas seulement des faits.»

Lors de sa conférence présentée à l'Université Concordia, le 21 novembre dernier, il a projeté une photo où l'on voit le président Obama avec sa cellule de crise lors de l'intervention qui a mené à l'exécution d'Oussama ben Laden en 2011. La photo montre les politiciens et fonctionnaires américains en train de regarder un écran qu'on ne voit pas. Thomas Hirschhorn est gêné par cette photo, car, dit-il, «c'est une icône». «On ne voit pas les autres images, alors cette image ne dit pas ce qui se passe réellement.»

Hirschhorn veut-il changer les choses? «Moi, je suis un artiste, dit-il. J'invente un nouveau monde et crée quelque chose qui n'existe pas. Je veux m'y confronter, mais je ne veux pas faire changer les citoyens ou transformer la personne qui s'y confronte. Je ne suis pas un politicien. Mais j'aime ce que je fais. J'aime réfléchir. Quand je fais un collage, je sens que je suis un artiste et que je fais mon travail.»

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Au Musée d'art contemporain de Montréal jusqu'au 4 janvier, dans le cadre de la Biennale de Montréal.