Quatre paires de mains gantées «s'activent» avec une lenteur calculée autour des précieux artefacts archéologiques qui étofferont la grande exposition Les Grecs-d'Agamemnon à Alexandre le Grand, qui doit être présentée le mois suivant au musée Pointe-à-Callière, à Montréal.

Chaque geste est minutieux. On est dans une antichambre du Musée archéologique de Thessalonique (MAT), deuxième métropole de Grèce, mais une scène similaire s'était produite, la veille, dans une arrière-pièce du vénérable Musée national archéologique d'Athènes. Ou allait se reproduire les jours suivants, au sous-sol du flambant neuf Musée de l'Acropole et dans chacun des 21 musées contributeurs.

À Thessalonique, trois employés de l'entreprise Orphee Beinoglou, spécialisée dans le transport et la manutention de pièces muséales, et le responsable du département de la conservation, Dimitrios Karoudis, font preuve d'une patience olympienne.

«C'est grâce à ces soins constants que ces objets millénaires demeurent aujourd'hui dans un si bon état... et ça m'émerveille!», lance Terence Clark, le conservateur du Musée canadien de l'histoire, venu observer les travaux. Lui-même archéologue de formation, il sait dans quel état déplorable on peut trouver ces trésors enfouis arrachés à la terre.

Deux hommes découpent au couteau de précision des formes dessinées dans des plaques de mousse polystyrène de deux pouces de largeur, qu'ils empileront progressivement, de façon à épouser à la perfection les contours d'une statue.

Chaque plaque est consciencieusement numérotée. L'écrin de mousse finira dans un caisson protecteur en bois. Estampillé de la mention «Fragile-Fine Arts» à l'encre. Un capharnaüm de caisses jonche le sol et aggrave l'exiguïté des lieux. Le MAT envoie au Canada 107 artefacts, sur les 550 que compte l'exposition. «L'aspect le plus délicat d'une expo, c'est toujours l'installation, quand on met les choses dans les caisses, ou qu'on les sort», explique M. Karoudis, tout en soulevant délicatement le nez d'un masque constitué de feuilles d'or, qui semble prêt à se désagréger.

L'opération chirurgicale risque d'être longue ou risquée, aussi préfère-t-il (pour satisfaire la curiosité des journalistes venus assister à la scène) abandonner temporairement ce masque triangulaire pour mieux se concentrer sur la tâche suivante: remplir (au compte-gouttes) de microbulles une boîte qui renferme une couronne d'or aux motifs floraux, afin que rien ne bouge pendant le transport.

«Ce sera encore plus long à enlever, car les bulles vont s'incruster entre les feuilles de laurier» doré, prévient-il. Ici, le processus est long, car «il faut documenter chaque étape, pour qu'à l'autre bout de la chaîne, ils sachent tout ce qu'on a fait, et comment».

Les petites mains gantées qui interviendront outre-Atlantique devront aussi inspecter chaque objet réceptionné et noter la moindre altération, de façon à ne pas engager la responsabilité du musée «hôte» pour des accidents survenus lors du transport.

On réalise soudain pour la première fois toute la fragilité de ces pièces rescapées de l'Histoire, vieilles de milliers d'années, et toutes les étapes fastidieuses nécessaires avant qu'on puisse les admirer. Souvent, pas plus que quelques secondes.

Les frais de ce voyage ont été payés en partie par le Musée canadien de l'histoire.

Visite guidée de cinq musées grecs

Vingt et un musées grecs ont étoffé la collection réunie au Canada sous le nom Les Grecs - D'Agamemnon à Alexandre le Grand. En voici cinq.

Musée national d'archéologie d'Athènes

Sans conteste le plus important contributeur. Ses collections sont époustouflantes, mais pas toujours bien mises en valeur. Ses salles exiguës - il présente le désavantage d'être coincé en plein centre-ville - font que les quelque 20 000 objets qu'il abrite ont parfois l'air un peu « compactés ». Il est à l'image de ses murs : vénérable et classique.

Musée archéologique de Thessalonique

Il figure au second rang parmi les contributeurs. Beaucoup plus moderne que celui d'Athènes dans son architecture, il conserve une approche classique et chronologique dans la présentation de ses collections. Il présente une jolie collection d'artefacts en or macédoniens. Passionnante et polyglotte, sa directrice, Polyxéni-Adam Véléni, donnera une conférence gratuite à Pointe-à-Callière le 26 mars, à 14h.

Musée de tombes royales d'Aigai

Le plus séduisant du lot, en plein coeur des plaines de la Macédoine. Un musée? C'est surtout un mausolée souterrain, « érigé » à l'intérieur du gigantesque tumulus où furent découverts assez récemment (1977) les tombeaux de Philippe II, père d'Alexandre le Grand et monarque éclairé, et de sa famille (sauf Alexandre). Pas la moindre fenêtre ici, mais l'ambiance funèbre est travaillée, avec des lumières tamisées. Il recèle des trésors dignes... d'un roi. À déconseiller aux personnes sujettes à la claustrophobie.

Le Musée archéologique de Mycènes

Construit à quelques centaines de mètres du cimetière où Heinrich Schliemann a découvert le « Trésor de Priam », un ensemble de masques funéraires et de bijoux appartenant à une dynastie de rois mycéniens. Parmi eux, le fameux masque longtemps dit d'Agamemnon qui, selon tous les spécialistes, ne peut pas lui avoir appartenu. Si le musée est joli, les ruines du site - l'impressionnante « porte des lions » en extérieur et le « tombeau d'Agamemnon » (qui n'est pas le sien), chef-d'oeuvre d'ingénierie et d'architecture, rebaptisé Trésor d'Atrée - sont incontournables.

Le Musée de l'Acropole

Des dalles de verre permettent au visiteur d'observer parfois, sous ses pieds, des archéologues à l'oeuvre dans l'entrée. Flambant neuf, le musée a été conçu, au pied de l'Acropole, entre autres pour pouvoir accueillir - et conserver adéquatement - la légendaire frise du Parthénon sur laquelle avait fait main basse le British Museum (la France et l'Allemagne ont aussi hérité de fragments) au début du siècle dernier. Spacieux. Éclairé par la lumière naturelle qui baigne Athènes. Et très densément visité. « Il est tout ce qu'un musée devrait être », estime le directeur général du Musée canadien de l'histoire, Jean-Marc Blais.