Depuis 60 ans, l'hôpital d'Ellis Island, par lequel ont transité des milliers d'immigrants arrivant à New York était abandonné. Ses bâtiments rongés par le temps viennent de rouvrir au public, avec des collages de l'artiste français JR, qui redonne vie aux ombres du passé.

Pour Unframed, Ellis Island, celui qui aime à se définir comme un «photograffeur» ou un «artiviste urbain», a plongé dans les archives photographiques du lieu. Il y a trouvé des photos centenaires, de fillettes la tête entourée d'un fichu blanc en raison d'une maladie du cuir chevelu; d'infirmières en tenue de travail; d'une équipe de chirurgiens; d'une famille fraîchement arrivée; d'immigrants descendant d'une barge; de médecins allemands en visite en 1912, ou encore de malades mentaux.

Les photos en noir et blanc ont été agrandies, découpées, retravaillées. Et installées là où l'instinct de JR le guidait, sur les murs lépreux, sur les portes ou les fenêtres aux vitres cassées du dédale de 29 bâtiments où le temps s'est arrêté.

Un couple et son enfant a trouvé sa place sur une fenêtre, où il semble regarder droit vers une Statue de la Liberté à la fois proche et lointaine.

Dans une ancienne chambre où sommeillent des commodes déglinguées, un mur décrépi accueille le collage de trois personnes endormies. Le visage interrogateur des fillettes redonne vie à une fenêtre aux vitres cassées, entourée de végétation exubérante, la lumière extérieure les rendant translucides.

Les malades mentaux sont la seule composition extérieure, immenses personnages à même les murs de brique du pavillon psychiatrique encore entouré de ses grilles. Ils sont collés sous un porche, à l'endroit même où la photo avait été prise.

«Je ne voulais pas coller partout», explique JR, en déambulant dans les couloirs de l'hôpital abandonné, qui accueille une trentaine de ses collages.

Dans certaines pièces, il a essayé mais en vain. «Parfois l'architecture, l'endroit, l'histoire étaient trop forts», explique-t-il à l'AFP. «Il y a trop d'intensité. Il y a des salles ou je ne me suis pas senti le droit, ou je n'ai pas trouvé l'image, et donc j'ai pas voulu y toucher».

Il a par exemple «essayé des centaines de choses» pour la salle de dissection. Finalement, il n'y a rien collé.

Et même s'il dit ne pas croire aux fantômes, l'artiste de 31 ans, connu dans le monde entier pour ses collages monumentaux, ajoute qu'«il y a des pièces où vous n'avez pas envie d'aller seul».

L'hôpital est tellement délabré, que les visiteurs - dix maximum par groupe pour une visite de 1h30 quatre fois par jour, quatre jours par semaine - doivent porter un casque de chantier.

Les couloirs, où la lumière n'arrive que tamisée, sont interminables. L'atmosphère comme hantée.

On passe par l'ancienne laverie et ses énormes machines rouillées, la salle d'autopsie, la morgue, et une succession de petites chambres vides avec de vieux lavabos. Une pièce entière servait à stériliser les matelas.

Des âmes errantes

«C'est comme s'il y avait encore les âmes qui erraient. (...) Je sens encore leur énergie», raconte JR, en parcourant les bâtiments où ont été traités 1,2 million d'immigrants malades, 10% de tous ceux qui ont transité par Ellis Island. Quelque 3500 y sont morts, 350 bébés y sont nés, et 2% seulement ont été renvoyés dans leur pays, avant que l'hôpital, ouvert en 1902, ne soit progressivement fermé à partir de 1924, et complètement abandonné en 1954.

Ces immigrants «étaient si près, et encore si loin» de New York. C'est pour cela qu'on appelait Ellis Island l'île de l'espoir ou l'île des larmes», ajoute JR, fasciné depuis qu'il a découvert il y a trois ans l'hôpital dans un livre du photographe Stephen Wilkes.

L'installation du projet lui a pris deux mois cet été, après qu'il eut obtenu le feu vert de l'association Save Ellis Island.

Ses collages, dit-il, y resteront jusqu'à ce que le temps les oblitère.

«Plus ils resteront longtemps, plus ils feront partie de l'endroit (...) C'est une sorte de dernier hommage parce qu'il risque de disparaître à jamais», ajoute-t-il, devant un collage d'infirmières déjà gagné par la rouille.

Les visites, lancées début octobre, affichent déjà complet jusqu'en décembre.

«Je m'attendais à un intérêt, mais pas à ce point», confie à l'AFP un guide bénévole du service des Parcs nationaux Antoni Mrozinski. «Beaucoup de gens ne connaissent pas l'histoire de l'hôpital» et son ouverture leur permet de «ressentir cette histoire».

JR est lui déjà sur un projet de livre et de court métrage sur l'endroit, avec Robert de Niro.