La salle d'exposition du Gesù accueille, jusqu'au 8 novembre, 34 portraits de victimes de la torture en Tunisie depuis 60 ans. Les photos ont été réalisées par le photojournaliste français Augustin Le Gall. L'exposition est présentée par Amnistie internationale dans le cadre d'une mobilisation mondiale contre la torture.

Augustin Le Gall vit à Tunis depuis 2008. Le photographe a vécu les dernières années du régime du président Ben Ali et les soubresauts du Printemps arabe. Lui qui se spécialisait dans les portraits en couleur a choisi le noir et blanc quand il s'est mis à photographier des hommes et des femmes tunisiens qui ont subi la torture entre 1956 et 2012.

«Je voulais comprendre l'ampleur du phénomène dans la Tunisie contemporaine, dit-il. Je me suis associé avec l'Organisation mondiale contre la torture et on a fait un travail avec la société civile pour trouver ces personnes qui viennent de toutes les régions de la Tunisie.»

Les 34 victimes ont été photographiées en studio, selon la même procédure.

«Je voulais les mettre sur un pied d'égalité, car même si elles sont différentes les unes des autres - indépendantistes des années 50, gauchistes, islamistes ou simples citoyens -, elles ont toutes vécu la même violence», explique Augustin Le Gall.

Le noir et blanc, la lumière judicieusement dirigée et les vêtements sombres portés par les victimes créent une ambiance dramatique et grave pour chaque photographie.

Enchaîné pendant 11 ans

La première photo est celle d'Ali Ben Salem, figure emblématique de l'humanisme tunisien, emprisonné sous l'occupation française en 1954, puis sous le régime de Bourguiba dans les années 60 et de nouveau en avril 2000. Il a été libéré en 2005, deux ans avant que le Comité contre la torture de l'ONU ne condamne la Tunisie pour l'avoir battu, torturé et enchaîné à un mur comme un animal pendant 11 ans.

La photo montre le militant tunisien de 84 ans qui repose sa tête sur ses mains refermées, avec un regard pensif et profond. On sent tout le poids de son histoire dans cette photo.

La dernière photo est celle d'un simple citoyen, Nabil Arari, accusé à tort de meurtre il y a deux ans et qui a été violenté pendant sa détention provisoire. On a l'impression qu'il est encore abattu d'avoir subi un tel traitement sans raison.

Chaque photo est accompagnée d'explications sur les tortures subies et d'un témoignage de la victime qui raconte ce qu'elle a vécu. En passant d'une photo à une autre, remontant le temps, on se rend compte que la torture a été systématique pendant des décennies. «C'était une façon de gouverner en Tunisie», dit Augustin Le Gall.

Les portraits sont accompagnés d'un court métrage de fiction de trois minutes réalisé par Richard Leclerc qui raconte le drame vécu par Imen Derouiche, arrêtée en 1998 par la police tunisienne pour ses activités au sein de l'Union générale des étudiants, puis torturée et violée.

Porte-parole de cette exposition, Mme Derouiche était présente au vernissage pour rappeler que la torture a toujours pour but d'empêcher les gens de parler.

La torture est encore en vigueur en Tunisie, même si la situation s'est améliorée, selon Amnistie internationale. Une commission tunisienne enquête depuis le début de l'année sur les exactions qui se sont produites dans ce pays depuis 1995.

Cette exposition, qui a fait le tour de la Tunisie de mai 2013 à juin 2014 et qui partira ensuite en tournée en Europe, est une façon pour Amnistie internationale de sensibiliser la population à l'existence de la torture et des mauvais traitements dans certains pays. Selon Béatrice Vaugrante, directrice générale de la section d'Amnistie internationale au Canada francophone, «pour changer les mentalités, ça marche mieux avec l'art».

> Au Gesù (1200, rue De Bleury) jusqu'au 8 novembre.