Mercredi s'ouvrira au Centre Pompidou une grande rétrospective consacrée à l'oeuvre de l'architecte canado-américain Frank Gehry. Autre événement phare de la programmation: un hommage à Jeff Koons. La Presse a discuté d'art contemporain avec le président de la prestigieuse institution française, Alain Seban.

Vous avez annoncé hier un premier Centre Pompidou provisoire, qui s'installera à Malaga dans un bâtiment transparent en forme de cube aménagé dans le port de la ville. Sortir de Paris est important pour vous?

L'idée est de créer des «minis» Centres Pompidou provisoires. Cette initiative participe d'une stratégie de présence à l'international que j'ai lancée. Elle vise à mettre en valeur les collections et le savoir-faire du Centre Pompidou. Nous investissons un lieu existant, à travers un parcours thématique d'oeuvres choisies dans la collection, une programmation d'expositions, des programmes de médiation et du live.

Nous avons une collection extrêmement riche, la plus importante d'Europe pour l'art moderne et contemporain et certainement l'une des deux plus importantes au monde avec celle du MoMA [Museum of Modern Art de New York]. Ce n'est pas seulement une collection de chefs-d'oeuvre; elle est plus large, vraiment encyclopédique. Cet ensemble compte plus de 100 000 oeuvres dont nous montrons ici, à Paris, à peine 2% à un instant donné. Elle s'enrichit constamment et il n'est pas possible de répondre à cette croissance en agrandissant sans cesse le musée. D'où l'idée de déployer autrement cette extraordinaire collection, d'aller au-devant du public en montrant les oeuvres en dehors de nos murs.

C'est ce qui a inspiré la création d'une institution soeur, le Centre Pompidou-Metz, dans l'est de la France. C'est ce qui a guidé l'aventure du Centre Pompidou mobile, une structure nomade destinée à un public moins familier aux musées en France, et c'est ce qui motive ce nouveau projet des Centres Pompidou provisoires, dont le premier verra le jour en Espagne, à Malaga.

Quels avantages cette stratégie dite «d'essaimage» en dehors de Paris comporte-t-elle?

La durée limitée de ces projets nous invite à dialoguer avec des acteurs culturels locaux, sur notre territoire comme à l'étranger, pour réfléchir à la manière la plus efficace de travailler ensemble. Cela nous permet de développer des réseaux, de nous brancher sur les scènes artistiques émergentes, de construire un musée ouvert et mondial avec une collection universelle. C'est aussi une stratégie de rayonnement du Centre Pompidou et d'accroissement de ses ressources. Ce nouveau modèle économique, particulièrement celui des Centres Pompidou provisoires, est d'autant plus crucial que l'État réduit ses concours. [...] Lorsque je suis arrivé à la tête du Centre Pompidou, il y a sept ans, les subventions de l'État représentaient les trois quarts [75%] de notre budget. Aujourd'hui, elles couvrent les deux tiers [66%].



Est-il plus ou moins facile qu'auparavant pour le Centre Pompidou d'entrer en contact avec les nouveaux artistes alternatifs de Paris?

Le dialogue avec les artistes est essentiel pour un musée ou un centre d'art contemporain. La jeune scène artistique française est de plus en plus reconnue internationalement et les artistes français ne travaillent pas forcément à Paris. La pression foncière est tellement forte dans la capitale que les espaces de travail y sont trop rares ou peu adaptés pour les artistes. Il n'y a pas à Paris d'équivalent à ce qu'on retrouve à Brooklyn et Berlin. Le Centre Pompidou maintient toutefois le contact et le dialogue avec les artistes, même s'il doit savoir le faire sur une scène désormais mondialisée où les échanges sont plus denses et plus rapides.

En quoi les défis auxquels fait face le Centre Pompidou sont-ils différents de ceux du MoMA de New York?

Notre collection est plus encyclopédique que celle du MoMA, même si, sur certaines périodes, en particulier la seconde moitié du XXe siècle, dominée par la scène artistique américaine, nous avons moins de chefs-d'oeuvre, voire de vraies lacunes. Si certains musées possèdent des «Joconde» qui comptent pour 85% de leur fréquentation - Guernica au Reina Sofia à Madrid ou encore La Joconde au Louvre -, nous devons miser sur les expositions temporaires et aller chercher les visiteurs un à un. Mais ça marche: l'affluence des expositions temporaires a augmenté de presque 60% depuis 2007 au Centre Pompidou!

Rejoindre les jeunes est-il un défi?

La moitié de nos visiteurs ont moins de 35 ans. Nous sommes bien placés sur les réseaux sociaux. Notre public est plutôt éduqué [...], mais ce qui m'intéresse, ce sont les gens qui n'ont jamais mis les pieds dans un musée. [...] Nous devons aller à leur rencontre. Je veux également continuer de sortir et présenter des oeuvres dans d'autres lieux que des espaces muséaux: dans les mairies, les lieux publics, etc. C'est l'ADN et la mission de service public du Centre Pompidou que de donner accès au musée, aux oeuvres, à la création, et de familiariser le plus large public à l'art de notre temps.



Photo: archives Reuters

Le bâtiment de la Fondation Louis Vuitton de l'architecte Frank Gehry.

Il y a longtemps que vous songiez à consacrer une exposition à l'oeuvre de l'architecte Frank Gehry, né à Toronto?

L'architecture participe à la connaissance et à la compréhension de la création contemporaine par le public. Le Centre Pompidou - qui est lui-même un bâtiment emblématique de l'architecture du XXe siècle - y attache une grande importance. L'exposition que nous consacrons à Frank Gehry est un événement: ce sera la première rétrospective en Europe consacrée à cette figure majeure de l'histoire de l'architecture contemporaine. Au même moment, nous participerons également à l'inauguration du bâtiment de la Fondation Louis Vuitton pour la création, déjà considéré comme l'un des grands chefs-d'oeuvre de Frank Gehry. Ce sera l'un des événements architecturaux majeurs des 30 dernières années à Paris.

L'exposition de Jeff Koons devrait aussi attirer beaucoup de spectateurs...

Le Centre Pompidou entretient une longue relation avec Jeff Koons, dont l'oeuvre n'a jamais fait l'objet d'une rétrospective en Europe. C'est un artiste qui a connu le succès de marché très tôt. Il aurait pu refaire à l'envi les oeuvres qui ont fait son succès, mais il a sans cesse pris le risque de se renouveler. [...] Jeff Koons est un grand artiste. Ce sera intéressant de voir comment son oeuvre est reçue en France. C'est moins simple qu'il n'y paraît. C'est une oeuvre optimiste, difficile à comprendre pour nous, Français, qui avons toujours l'esprit critique et cherchons l'ironie partout. Comment une telle bouffée d'optimisme sera-t-elle reçue en cette ère de crise et de pessimisme? Ça pourrait être l'objet d'une discussion salutaire pour notre société.

C'est beaucoup de pression, d'être à la tête d'un musée?

Oui, c'est une importante responsabilité, surtout à cause de la demande de plus en plus forte de la société et des visiteurs envers les musées, en cette période de crise et de perte de repères. Les gens veulent de l'authentique et de l'unique. Pourquoi y a-t-il des musées? Parce que rien ne remplacera jamais la rencontre avec l'oeuvre originale. Elle vaudra toujours mieux qu'une image ou une copie. Les gens viennent ici chercher du sens et de la beauté. Pour nous, c'est une énorme responsabilité!

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L'événement Frank Gehry aura lieu du 8 octobre 2014 au 26 janvier 2015 au Centre Pompidou, celui de Jeff Koons, du 26 novembre 2014 au 27 avril 2015.

Photo: archives AP

L'artiste Jeff Koons avec l'une de ses sculptures géantes de chien en ballons.