Contrairement aux autres disciplines artistiques, la «performance» de l'artiste visuel se fait en solitaire, avant le début de son expo. Ce qui n'exclut pas une préparation physique ou psychologique...

«Personnellement, je fais mon possible pour être anonyme, nous confie David Altmejd. Je ne suis pas à l'aise avec l'idée de performer. Je ne suis pas un entertainer. Mon travail est fait au moment de mon expo. En tant que sculpteur, je déplace la responsabilité à l'intérieur de ma sculpture. C'est elle qui doit être prête psychologiquement et physiquement, parce que c'est elle qui performe...»

Est-il tenté de se mêler discrètement à la foule pour voir les réactions des gens, comme le faisait jadis le peintre Guido Molinari? «Non, répond David Altmejd. Je suis beaucoup trop gêné. Je retourne rarement voir mes expositions après un vernissage. Je trouve ça psychologiquement trop compliqué.»

Ce travail de transfert de responsabilité est très physique, estime David Altmejd. «Je fais tout ce que je peux pour pouvoir être ensuite invisible. C'est très intense. C'est comme un transfert de personnalité et d'énergie vers mes oeuvres.Le jour de mon vernissage, je suis habituellement si épuisé que je me sens invisible.»

Le marcheur

Le sculpteur montréalais établi à New York depuis près de 15 ans avoue ne pas faire beaucoup de sport. «Par contre, je marche tous les jours de chez moi à mon atelier, dit-il. C'est une marche d'une heure et demie environ, donc ça me fait au moins trois heures de marche par jour, été comme hiver, sauf certains jours de pluie ou de grand froid.»

Ces longues marches permettent à l'artiste visuel de réfléchir. Même s'il estime qu'il réfléchit «beaucoup trop», au point de devenir paranoïaque.

«Parfois, je me parle à voix haute, admet-il. Ce sont des réflexions très cérébrales, mais quand j'arrive à mon atelier, mes réflexions sont plus instinctives. Elles ont lieu dans mes yeux et dans mes mains. C'est une autre forme d'intelligence qui me permet de me vider de toutes les pensées qui sont dans ma tête.»

Ces réflexions sont rarement d'ordre artistique, précise David Altmejd. «Elles sont plus d'ordre social, politique, psychologique. Ce ne sont pas des pensées intuitives.»

S'épuiser totalement

Son travail de sculpteur demeure physiquement exigeant. À ce jour, il n'a jamais subi d'entorse ou de foulure, mais David Altmejd avoue être allé aux urgences à quelques reprises après s'être coupé. «Parfois, le travail devient tellement intense que ça m'emmerde de prendre des précautions; c'est souvent dans ces moments-là que je me coupe.»

À l'approche du jour J d'une expo, a-t-il des rituels particuliers? «Le mieux, pour moi, est de travailler jusqu'au jour du vernissage, insiste David Altmejd, parce que mon but est de m'épuiser totalement, de manière à être détendu le jour de l'expo. Pour me retrouver dans un état second.»

L'artiste engagé retrouve son équilibre dans le travail quotidien.

«Si, par moments, je suis trop épuisé par un travail plus physique, je travaille à autre chose, je focalise sur de plus petits objets à l'intérieur même de mon atelier, précise-t-il. Au fond, je retrouve mon équilibre dans le processus de création. C'est comme si, dans mon atelier, il y avait dans un coin un thérapeute, dans un autre un masseur, etc. Je peux toujours changer de projet et y trouver mon compte.»