Une prestigieuse collection d'art contemporain a investi pour six mois l'ancienne prison d'Avignon  pour la première exposition jamais réalisée dans un lieu carcéral en France, ouvert pour l'occasion au public.

«Présenter des oeuvres dans une prison ne s'est jamais fait», en France, témoigne Eric Mézil, directeur de la collection et commissaire de l'exposition «la disparition des lucioles», conçue autour des thèmes de la solitude et de l'enfermement.

«Ce lieu chargé d'histoire donne à la moindre oeuvre exposée une force qu'on n'imaginait pas au départ», constate M. Mézil.

Sur les 12 000 m2 de l'ancienne prison Sainte-Anne, construite sous le Second Empire, dans l'ombre du Palais des papes, et abandonnée en 2003, 6000 m2 accueillent une partie de la prestigieuse collection d'art contemporain créé par le galeriste parisien Yvon Lambert. Une trentaine d'oeuvres ont par ailleurs été réalisées spécialement pour l'exposition.

L'exposition La mort des lucioles, baptisée d'après le texte sur les lucioles de l'écrivain et scénariste italien Pier Paolo Pasolini, montre notamment des oeuvres de la prestigieuse collection privée d'Enea Righi, auxquelles s'ajoutent des prêts de grandes collections publiques et privées.

D'un coût de 900 000 euros, elle a été financée pour une moitié par le mécénat et pour l'autre par la billetterie.

À côté du porche du bâtiment qui porte encore le nom de «maison d'arrêt», le visiteur est accueilli par l'inscription «Silence in the Museum», inscrit sur le mur d'enceinte, comme un avant-goût des graffitis qui ornent toujours les murs, à l'intérieur.

Derrière la haute façade, le bâtiment, construit pour accueillir 600 détenus, les oeuvres sont accrochées ou disposées dans les couloirs, les pièces communes et les cellules restés en l'état depuis 2003 aux murs encore plus délabrés, couverts de graffitis. Pour l'exposition, seul le système électrique a été amélioré pour mieux mettre en valeur les oeuvres.

Enfermé à jamais

Dans chaque pièce, la présentation des oeuvres obéit à une thématique identique, celle de l'enfermement et du temps qui passe.

À l'entrée, la guérite des gardiens porte des impacts de balles. Sitôt passée la première grille, un groupe de policiers immobiles vous accueille: une oeuvre de Xavier Veilhan, particulièrement bien adaptée à l'environnement.

Dans une première cellule, s'affiche en lettre néon rouge sur fond blanc, la première phrase de L'Enfer de Dante: «Vous qui entrez ici, laissez tout espoir». Elle semble dédiée à tous ceux qui furent enfermés à Sainte-Anne, malades psychiatriques, «les insensés» puis prisonniers de droit commun et juifs victimes de dénonciation durant la seconde guerre mondiale, en transit avant d'être envoyés dans les camps de concentration.

Juste à côté, le «jardins des encombrants» où l'on parquait ceux qu'on ne «voulait pas garder», rappelle M. Mézil. Pour l'exposition, un bassin y est posé, dans lequel se soulève une vague d'eau en perpétuel mouvement de l'artiste italien Massimo Bartolini.

La sculptrice allemande Gloria Friedmann, a créé sur place une oeuvre «que l'on ne puisse plus sortir», explique-t-elle. Son «cobaye» humain de 2,50 en terre et acier, est affublé d'une tête d'1,50 mètre qui ne passe plus la porte, le laissant enfermé à jamais.

Partout, les oeuvres artistiques renvoient à l'histoire carcérale, telle cette sérigraphie d''Andy Warhol, une chaise électrique, au centre d'un mur de cellule. Dans une autre, une photographie abstraite laisse deviner des morceaux de ciel, de tours et d'avion: c'est l'attentat du 11 septembre. Un dessin coloré fait par d'anciens prisonniers lui fait face: les deux tours du World Trade center percutées par des avions, en 2001.

Trois cellules sont réservées à des documents d'archives de la prison: manuscrits, carnets, plans, photos et vidéos témoignent du passé du lieu, telles ces photos de «hurleurs», venus le dimanche parler aux prisonniers ou le récit émouvant de Marceline, 85 ans, rescapée des camps nazis, passée d'abord par Sainte-Anne.