Je ne sais pas à quoi doit ressembler la grande directrice d'une grande galerie d'art contemporain en 2014, mais si le critère principal c'est d'avoir l'air cool, Gaëtane Verna a tout bon. Avec ses tresses africaines, une main décorée de henné, un collier indien et des vêtements relax façon hipster de Parkdale, elle est à la fois branchée et totalement terre à terre.

«Mon travail? C'est surtout de faire comprendre aux gens qu'ils ont besoin d'art dans leur vie», lance cette Québécoise qui dirige depuis 2011 la Power Plant Contemporary Art Gallery de Toronto, assise sur un banc de pierre, dans le hall central de l'immense espace voué à l'art contemporain. «C'est leur faire voir que l'art renouvelle constamment notre perception du monde.»

Je ne sais pas à quoi doit ressembler la grande directrice d'une grande galerie d'art contemporain, mais si vous l'imaginez hermétique, parlant uniquement à un public averti capable de comprendre illico des références obscures au monde artistique actuel, Gaëtane Verna ne correspond nullement aux stéréotypes. Large sourire, franc-parler simple, volonté manifeste d'être entendue et de communiquer clairement une passion pour l'art actuel...

On a envie de la suivre au bout du monde de la création. D'ailleurs, elle m'emmène visiter les installations de Mike Nelson, le Britannique dont quatre oeuvres gigantesques sont présentées jusqu'au 19 mai à la Power Plant, et soudainement le travail totalement éclaté de l'artiste prend tout un sens que je n'avais pas saisi au premier abord. Cinq vieilles roulottes combinées qu'on visite en penchant la tête à travers la poussière et les relents d'humidité, une série de photocopieuses couvertes de textes imprimés, des sculptures de rebuts trouvés au bord de la mer...

«C'est un travail très riche qui ne se dévoile pas tout de suite», m'explique-t-elle, en me montrant toutes sortes de détails cachés, de références intrigantes. Tranquillement, c'est la décadence totale de l'Amérique - ou ses contradictions? - qui se dévoile dans cette installation totalement décoiffante...

«Les visiteurs, on les gagne un par un», dit celle qui est arrivée à Toronto en 2011, après avoir bâti une réputation solide en art contemporain au musée de Joliette, dont elle a été la directrice de 2006 à 2012, après avoir dirigé pendant huit ans la Galerie Foreman de l'Université Bishop's à Lennoxville. «Mais ce qui compte surtout pour moi, c'est que personne ne ressorte indifférent.»

Diplômée de la Sorbonne, Verna, 48 ans, est d'origine haïtienne par ses parents, mais elle est née au Zaïre, a grandi à Montréal et vit maintenant avec son mari et ses deux filles, de 8 et 12 ans, à Toronto. Elle adorait Joliette, ville idéale pour élever des enfants, note-t-elle. Mais le défi qu'on lui proposait dans la métropole ontarienne lui a tout de suite plu. Installée dans un immeuble industriel historique du front de lac, la Power Plant est une des institutions les plus prestigieuses en art contemporain au Canada et a une réputation internationale.

Organisme sans but lucratif, financé à 30 % par des fonds publics, mais aussi par des commandites, dont celle de la BMO, qui lui permettent d'accueillir les visiteurs gratuitement, c'est une galerie qui brasse la cage, qui en a les moyens. «Oui», me répond-elle quand je lui demande s'il est évident, quand on travaille dans le monde de l'art contemporain à Toronto, qu'on y côtoie une prospérité unique au Canada. «Il y a plus d'opportunités, mais c'est aussi un milieu très compétitif», explique-t-elle. «Et les défis sont à la hauteur des moyens.»

Gaëtane Verna veut profiter de son passage à Toronto pour «construire des ponts». Elle trouve que pour le moment, les conservateurs de la galerie ne regardent pas suffisamment ce qui se fait au Québec. Ni dans les provinces maritimes.

À l'été 2015, Toronto recevra les Jeux panaméricains et elle espérait en profiter pour demander au collectif québécois BGL de participer à une expo qui aurait réuni deux autres groupes d'artistes travaillant en collaboration, un mexicain et un cubain.

Malheureusement pour elle, mais heureusement pour BGL, les trois artistes québécois, Jasmin Bilodeau, Nicolas Laverdière et Sébastien Giguère, ont été choisis pour représenter le Canada à la Biennale de Venise, au même moment. Faire les deux expos était impossible, mais Verna y tient: elle va amener d'autres artistes du Québec dans la métropole. Elle veut organiser des collaborations avec le Musée d'art contemporain. Avec la galerie de l'Université Concordia.

«Je veux que notre institution soit ouverte», dit-elle. Ouverte aux artistes, ouverte au public. «Je ne promets pas aux visiteurs qu'ils aiment les oeuvres, ajoute la directrice. Mais je leur promets des panneaux clairs, des explications intelligibles, des événements liés aux autres arts. Je leur promets un bon accueil.»