Ébranlée par la révélation de la découverte d'un «trésor nazi», l'Allemagne souhaite se doter d'une loi facilitant la restitution d'oeuvres d'art volées sous le IIIe Reich pour que justice soit rendue, presque 70 ans après la fin de la guerre.

Ce projet de loi dont la discussion doit commencer vendredi a été élaboré après l'annonce en novembre de la découverte de 1406 oeuvres, en partie probablement issues de pillages nazis chez des juifs, au domicile d'un octogénaire, Cornelius Gurlitt, à Munich.

Et l'affaire est loin d'être terminée puisque mardi encore, était annoncée la découverte de 60 oeuvres, dont des Monet, Manet et Renoir dans la maison de Salzbourg de M. Gurlitt, fils d'un marchand d'art au passé trouble sous le Troisième Reich.

Baptisée «Lex Gurlitt» par les médias, le projet doit être détaillé par l'État régional de Bavière devant le Bundesrat, la chambre haute du parlement qui représente les Länder.

Il propose notamment d'abolir la prescription de 30 ans au-delà de laquelle la propriété d'une oeuvre d'art ne peut plus être contestée, si le détenteur est considéré comme de «mauvaise foi», c'est-à-dire s'il connaissait la provenance de l'objet au moment de son acquisition.

«En principe ce projet de loi est un signal positif. Cela montre que les consciences politiques sont en train de se réveiller en Allemagne après les manquements du passé. Le cas Gurlitt a fait bouger les choses», a estimé auprès de l'AFP Markus Stötzel, avocat des héritiers d'Alfred Flechtheim, juif allemand et grand marchand d'art du XXe siècle.

Sabine Rudolph, qui représente les héritiers d'un avocat juif de Dresde, Fritz Salo Glaser, exigeant la restitution d'au moins 13 oeuvres d'art appartenant à M. Gurlitt, s'est montrée beaucoup plus sceptique. «À mon avis, ce projet de loi brasse surtout de l'air», a-t-elle dit à l'AFP.

Elle a notamment critiqué le fait que les héritiers de la famille spoliée doivent prouver que le propriétaire actuel des oeuvres les a acquises en étant «de mauvaise foi». «Comment voulez-vous qu'ils fassent?», s'emporte-t-elle.

«Après 70 ans, dans de nombreux cas, la connaissance sur le destin des tableaux est très rudimentaire. Beaucoup de documents ont été perdus», abonde dans son sens M. Stötzel, pour qui cette loi «ne peut être qu'un premier pas».

De son côté, la ministre allemande de la Culture, Monika Grütters, a récemment admis dans un entretien au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung que le projet de loi montrait «des difficultés dans sa mise en oeuvre», précisant «réfléchir» avec sa collègue de la Justice à quelles «possibilités juridiques on pourrait utiliser» pour y pallier.

L'Allemagne a certes signé, en décembre 1998, la «déclaration de Washington», dans laquelle 44 États s'engageaient à retrouver et restituer l'art volé par les nazis. Mais ce texte n'est pas contraignant, et il ne concerne que les États et les musées, pas les particuliers.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne de l'Ouest avait déjà envisagé de légiférer sur les oeuvres d'art volées par les nazis et qui avaient atterri dans des musées ou des collections, mais les Alliés s'y étaient opposés, craignant une déstabilisation du marché de l'art.

Fin janvier, le président du Congrès juif mondial, Ronald Lauder, avait lancé un appel à Berlin pour que l'Allemagne se dote d'une législation spécifique sur les oeuvres d'art spoliées par les nazis, se félicitant du «signe de bonne volonté» que présentait le projet de loi bavarois.

Et il avait exhorté les musées allemands à vérifier qu'aucune pièce volée ne se trouve dans leur collection: «C'est ce que l'Autriche a fait. La France et les Pays-Bas ont fait un pas dans cette direction et la Grande-Bretagne a une commission pour étudier les demandes et conseiller le gouvernement».

«Mais ici, c'est l'Allemagne, où ces crimes ont débuté. Elle doit faire plus».