Les photographes professionnels qui ont immortalisé Nelson Mandela décrivent un homme providentiel, simple et généreux qui a fortement marqué leur carrière, bien loin de l'image inaccessible attachée à son statut d'«icône mondiale».

Lorsqu'en juillet 1993, Raymond Depardon se retrouve face à lui «par un heureux hasard», il est tellement impressionné qu'il choisit de le filmer pendant une minute en silence.

«J'étais seul à Johannesburg pour un film que je faisais sur l'Afrique grâce à une bourse (...) et j'ai croisé quelqu'un, journaliste à Vogue, qui cherchait un photographe pour photographier Mandela. J'ai accepté à condition de pouvoir le filmer. Je me suis retrouvé le lendemain face à lui dans un appartement de Johannesburg», raconte à l'AFP le photographe de l'agence Magnum.

«Et j'ai filmé une minute de silence. C'était un symbole incroyablement fort, par sa présence, son sacrifice, sa rigueur... Je me disais que le meilleur hommage que je pouvais lui rendre était de le filmer sans parole», ajoute-t-il.

«Je savais que c'était un combattant d'une générosité incroyable et l'homme providentiel qui était en train de réussir quelque chose que nous avions raté avec l'Algérie: la réconciliation», a poursuivi le photographe, évoquant «un homme de très grande taille, comme le général de Gaulle mais qui se défendait d'être une icône ou un prophète».

«C'est lui qui a interrompu cette minute de silence par un «well, well». Il a été d'une simplicité incroyable comme s'il devinait au-delà de la parole. Il m'a vu, il savait que j'étais français et que je parlais mal anglais et il a vu aussi quelqu'un qui était en Afrique et essayait de tisser des liens avec ce continent. J'avais l'impression qu'il allait me remercier à chaque instant. Il m'a porté chance... Je dois beaucoup à l'Afrique, à son épure, à sa simplicité», ajoute-t-il.

«J'ai mis cinq mois à faire mon film (sur l'Afrique) et je me suis dit que Mandela était le symbole de quelque chose de nouveau. On pourrait refaire l'itinéraire aujourd'hui et ce serait dans des conditions qui n'ont rien à voir, dans des pays aujourd'hui pacifiés et quelque part c'est grâce à la générosité de Mandela».

Simplicité

Alexander Joe, photographe de l'AFP, fait partie de ceux qui ont photographié les premiers pas d'homme libre de Nelson Mandela à sa sortie de la prison de Pollsmor dans la banlieue du Cap, après plus de 27 ans dans les geôles de l'apartheid.

«Je me souviens de son sourire. Cet étrange sourire. J'ai l'impression que Mandela hypnotise la foule mais c'est aussi la foule qui l'hypnotise», raconte-t-il, se souvenant d'une foule «en transe», composée de «gens de couleur» mais aussi «de blancs» venus acclamer celui que «presque tout le monde considère comme la force morale qui vaincra l'apartheid», ce 11 février 1990.

«Le voilà! Tout droit sorti de l'obscurité de son cachot pour apporter au peuple l'espoir. Un gigantesque espoir (...). Je m'étais dit que jamais de mon vivant je ne verrais cela», ajoute Alexander Joe, originaire du Zimbabwe où il dit avoir connu aussi «l'horreur de l'apartheid» et qui était autorisé pour la première fois de sa vie à se rendre en Afrique du sud, où il s'est installé.

Photographe de l'agence Magnum, Abbas n'a rencontré Nelson Mandela qu'à partir de 1998. Il a été frappé lui aussi par «son sourire communicatif», mais plus encore «par sa grande simplicité sur un continent, l'Afrique, où en général, avec les chefs d'Etat, le protocole est très lourd».

«Plus qu'un vrai charisme, il se dégageait de lui une grande bienveillance, dans la façon dont il se comportait avec son entourage», en parcourant une série de photos datées de 1999 au Cap.

«Comme lorsqu'il ouvre les bras dans sa chemise décontractée sur le perron de la présidence avec l'ex-chancelier autrichien Viktor Klima, ou qu'il pose son bras sur les épaules de Thabo Mbeki», son dauphin devenu vice-président d'Afrique du Sud tandis que lui-même était porté à la présidence.

«J'avais travaillé sur l'apartheid en 1978 et je m'attendais à une explosion. Nelson Mandela a changé le destin de son pays», ajoute-t-il.