Lancé en 2011 dans un bâtiment qui a déjà abrité un chantier naval, à Griffintown, l'Arsenal art contemporain est une réalisation du couple Anne-Marie et Pierre Trahan. Tous deux se consacrent à la promotion de l'art contemporain autant au Québec qu'à Toronto, où ils ont créé Arsenal Toronto. Ambitieux et passionnés, ils veulent propulser des artistes sur le marché international.

Une trentaine d'expositions ont été présentées à l'Arsenal depuis trois ans. À Montréal, les expositions ont lieu à la galerie Division, dans les immenses locaux du rez-de-chaussée, au 2020, rue William.

En cette fin d'année, on peut découvrir les photos aquatiques d'Isabelle Hayeur, un grand reportage du photographe Varial en Afghanistan, une installation surprenante de Sarah Anne Johnson et Science des rêves, qui rassemble une douzaine d'oeuvres de la collection de François Odermatt.

Pour Pierre Trahan, l'Arsenal est plus qu'un centre d'expositions, c'est un poumon de l'art contemporain qui doit permettre aux artistes canadiens d'aller prendre l'air sur d'autres marchés où ils sont absents, notamment en Europe et en Asie. Il a expliqué ses ambitions à La Presse.

Q: D'où est venue l'idée de créer l'Arsenal?

R: À Montréal, il y a une ignorance extrême de ce qu'est l'art contemporain, notamment chez les gens d'affaires. Ils entendent parler de Riopelle ou de Jean Paul Lemieux et c'est tout. Alors, ils manquent le bateau. Une oeuvre de Peter Doig qu'on pouvait acheter pour 20 000 $ il y a 15 ans, à Montréal, se vend aujourd'hui entre 5 et 15 millions. Les rendements de l'investissement sont faramineux d'année en année. On parle parfois de 50 % d'augmentation. Mais les gens ne connaissent pas ces artistes et sont plus intéressés par les rendements de leurs actions à la Bourse. D'où l'intérêt d'ouvrir l'Arsenal pour promouvoir l'art contemporain.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

L'Olivier en aluminium, une oeuvre d'Ugo Rondinone. 

Q: Comment cette promotion se fait-elle?

R: On expose nos collections, la mienne, celle de François Odermatt, pour montrer ce qu'est l'art contemporain et éduquer les gens. On prend les artistes dont on considère qu'ils ont beaucoup de potentiel pour les amener sur la scène internationale. On veut dire aux gens que c'est le temps de les collectionner. Plus tard, ce sera trop tard. Quand on voit Peter Doig, ce sont des collectionneurs des États-Unis et d'Europe qui en profitent aujourd'hui.

Q: Avant l'Arsenal, y avait-il un manque sur la scène montréalaise de l'art contemporain?

R: Il n'y avait pas un manque, il n'y avait absolument rien! Il y a des galeries qui essaient de promouvoir l'art contemporain, mais elles sont démunies de tout outil. L'art contemporain, c'est une business. On a un produit. Il faut qu'il soit tout le temps bon et, après, il faut le mettre en marché et le financer. À Montréal, personne ne fait ça. Moi, je dis que ce n'est pas aux artistes de faire vivre les galeries, mais aux galeries de faire vivre les artistes.

Q: Vous faites donc du mécénat?

R: Oui. On invite d'autres personnes à participer à mon projet et on fait du vrai mécénat. On prend des artistes, on les finance et j'essaie de les vendre sur le marché international. Moi-même, j'en achète parce que j'y crois. Alors, on monte des expositions à l'Arsenal, qui est une philanthropie, tandis que la galerie Division est un véhicule pour vendre le produit des artistes.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Un bateau conçu par Sarah Anne Johnson.

Qui sont les actionnaires de l'Arsenal?

> Actionnaires principaux: Pierre et Anne-Marie Trahan. Pierre Trahan est propriétaire d'une entreprise d'huiles essentielles, Cedarome Canada, dont le siège social est situé à Brossard.

> Actionnaires associés: le collectionneur François Odermatt, l'ex-directeur de l'Association des galeries d'art contemporain (AGAC) Jean-François Bélisle et l'homme d'affaires Daniel Lacombe.

Les expos de l'Arsenal

> WAKHAN, L'AUTRE AFGHANISTAN 

Dans la partie nord-est de ce pays, à la frontière de la Chine, dans un couloir compris entre le Tadjikistan et le Pakistan, vivent les Wakhis et les Kirghiz dans un calme relatif, loin de la fureur des extrémistes islamistes. Le photographe montréalais Varial (de son vrai nom Cédric Houin) a passé une quarantaine de jours dans la région montagneuse de Wakhan durant l'été 2011. Il en a ramené des photographies et des vidéos magnifiques sur ces gens qui vivent simplement, en perpétuant leurs traditions. 

> ISABELLE HAYEUR 

Division présente jusqu'au 11 janvier ses plus récentes photographies. Avec sa série Understories, on est encore dans la transformation des paysages, un sujet qui la passionne depuis longtemps. Prises en Louisiane, dans les bayous, et sur le golfe du Mexique pendant une résidence d'artiste au printemps dernier, ses photos illustrent la pollution des eaux et le manque de respect de l'environnement dû à l'inconscience de l'espèce humaine. 

> SCIENCES DES RÊVES 

L'Arsenal présente jusqu'au 15 mars l'exposition d'oeuvres du collectionneur François Odermatt et une sculpture en plexiglas et résine de David Altmejd, La gorge, prêtée par un collectionneur européen. Il faut voir le grand lit à baldaquin du Français Jean-Michel Othoniel, avec son étain sculpté et ses bulles de verre de Murano, l'olivier en aluminium d'Ugo Rondinone, en hommage à sa terre italienne et à ses parents, ou encore les sculptures en papier mâché du regretté Franz West et le tableau coup-de-poing de l'Iranienne Farhad Moshiri sur la liberté d'expression. 

> SARAH ANNE JOHNSON 

Jusqu'au 11 janvier, l'Arsenal expose l'installation de l'artiste manitobaine, intitulée Untitled (Schooner and Fireworks). La photographe devenue sculptrice a réalisé (avec peine) une structure suspendue, sorte d'imitation d'une concrétion minérale, comprenant des formes d'oursins et d'autres espèces animales des bas-fonds éclairées et clignotantes. L'artiste, qui a obtenu le prix Grange en 2008, a placé le tout au-dessus d'un bateau à voile rouge dont le pont est submergé par une masse de plastique fondu qui semble venir de la concrétion sus-jacente... 

> COLLECTION MAJUDIA 

Une cinquantaine d'oeuvres - parmi les 1800 pièces de la collection Majudia appartenant au couple Trahan - occupent un grand espace de l'Arsenal. Un faux garde de sécurité, Bat, de Mark Jenkins, accueille les visiteurs qui ne manquent pas d'être surpris par tant de réalisme. Puis, des sculptures de Shary Boyle, Evan Penny et Maskull Lasserre précèdent des oeuvres d'Allison Schulnik, Wanda Koop, Kim Dorland, Nicolas Baier, Éliane Excoffier et Daniel Richter. Aucune des oeuvres n'est à vendre, sauf si, «pour le bien de l'artiste», une collection prestigieuse souhaite l'acheter, précise Pierre Trahan.