«Je suis cette petite personne qui se balade sur la Terre, regarde ce qui se passe et réagit»: Josef Koudelka, rendu célèbre par ses photos de la répression du printemps de Prague, évoque dans un entretien à l'AFP sa vie de photographe nomade.

«Je vais d'un pays à l'autre, je bouge tout le temps, cela fait plus de 40 ans que je voyage, je n'ai pas vécu dans un pays plus de trois mois», dit le photographe né en 1938 en République tchèque et naturalisé français.

«Je ne me sens pas vraiment comme citoyen d'un pays, je ne suis pas tchèque comme tous les Tchèques, j'ai un passeport français mais je ne suis pas français comme tous les Français. Heureusement, parce que je ne veux pas être comme les autres», ajoute-t-il.

Seule certitude pour cet homme à la barbe blanche qui a émigré en 1970 pour s'installer, temporairement, en Grande Bretagne: «Je sais d'où je viens. C'est de la Moravie du Sud. Et je sais d'où je viens parce que pour moi là-bas c'est la meilleure musique».

En août 1968, Koudelka, à l'époque ingénieur aéronautique, revient d'un voyage en Roumanie où il avait photographié les gitans. C'était la veille de l'invasion de Prague par les chars soviétiques.

«Ce qui s'est passé en Tchécoslovaquie je l'ai ressenti comme une tragédie pour les Russes comme pour moi, parce que j'étais dans le même système et ce qui leur est arrivé aurait pu m'arriver à moi», dit-il, remerciant la Roumanie pour ne s'être pas jointe aux autres pays du Pacte de Varsovie lors de la répression du Printemps de Prague.

Publiées anonymement aux États-Unis, ses photos noir et blanc montrant les réactions des Pragois face à l'armée soviétique lui ont valu le prix Robert Capa.

«Peut-être que j'étais ce petit idiot avec l'appareil mais je me suis comporté assez bien», dit-il à propos des ouvrages choisis pour l'exposition Invasion 68 Prague qui ouvre ses portes vendredi à Bucarest.

De retour en Tchécoslovaquie après la chute du communisme, «je pensais que j'étais ivre», heureux «d'entendre les gens autour de moi parler tchèque».

«C'était formidable - marcher dans les rues de Prague, rencontrer des gens, regarder leurs visages...», s'enthousiasme-t-il.

Auteur d'un livre intitulé Exiles, recueil de 61 photos prises en Europe entre 1968 et 1987, M. Koudelka assure que «l'exil vous fait deux cadeaux. Un cadeau est que vous devez construire votre vie de nouveau. Le deuxième est que si vous avez la chance de retourner - que moi je n'avais jamais pensé avoir - vous retournez avec des yeux complètement différents».

Regrette-t-il de ne pas avoir été témoin d'un grand événement? «Un événement ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse je le photographie», même si cela ne fait pas la Une des journaux, comme c'était le cas pour la vie des Roms dans les années 1960-70. «L'important est que j'ai touché aux principaux sujets de cette période où j'étais vivant», dit-il.

À propos de son dernier ouvrage, The Wall, regroupant des photos panoramiques prises le long du mur qui sépare Israël des territoires palestiniens, il souligne que ce «n'est pas un livre pro-palestinien ou contre Israël mais contre la manière dont l'homme se comporte envers la Terre».

«Pour moi ce mur est un crime contre le paysage. Les gens sont capables de se défendre, le paysage non. Là c'est un paysage saint pour une grande partie de l'humanité et ils sont en train de le détruire», s'insurge-t-il.

S'il se refuse à définir ce qui fait un bon photographe, il explique comment il perçoit son métier: «Le travail du photographe est d'avoir une opinion des choses, du monde et de réagir envers ce monde».

«Moi, je regarde dans mon viseur et j'essaie de former le monde. Dans le même temps, le monde me forme, moi», dit-il.

Et d'ajouter avec un sourire: «Je suis content si je réussis à faire quelque chose qui n'est peut-être pas mal».