Des chefs-d'oeuvre de Monet, Picasso et Gauguin dérobés aux Pays-Bas en 2012 ont-ils fini brûlés au 1351 rue Malasneanca, dans un pittoresque village de Roumanie entouré de champs de tournesols gorgés de soleil?

Cette question taraude le monde de l'art, les enquêteurs et, au pied des monts Macin, le village de Carcaliu d'où sont originaires, Radu Dogaru, principal accusé pour le vol, et sa mère Olga, qui a affirmé avoir brûlé les tableaux - d'une valeur estimée à 18 millions d'euros - dans le poêle de sa maison, dans l'espoir de «détruire les preuves».

Olga s'est depuis rétractée mais une analyse effectuée par le Musée national d'Histoire de la Roumanie a révélé que les cendres saisies chez elle contiennent des restes de peintures à l'huile.

Le musée n'a toutefois pas confirmé qu'il s'agit des toiles subtilisées au musée Kunsthal de Rotterdam.

À partir de mardi, les Dogaru et quatre autres Roumains seront jugés à Bucarest pour un des plus spectaculaires vols d'art du siècle.

À Carcaliu, village pimpant des bords du Danube avec ses rues bordées de fleurs, de tilleuls et d'arbres fruitiers, ses maisons aux couleurs pastels et ses jardins ombragés de vignes vierges, l'affaire a «créé un choc pour une communauté pas habituée aux perquisitions de policiers masqués», confie Ekaterina, une «babouchka» retraitée de 66 ans.

«J'aurais aimé que rien de tout cela ne se soit passé. J'aurais aimé qu'on parle de notre village pour ses coutumes, sa culture et pas à cause de ces tableaux volés», soupire la maire du village, Anica Toma, dans une entrevue à l'AFP.

«La réalité c'est que les gens du village travaillent dur et ne créent pas de problème», poursuit-elle en espérant que les agissements de quelques personnes ne jetteront pas l'opprobre sur une communauté entière.

La majorité des 3000 habitants enregistrés sont lipovènes, une minorité russophone dont les ancêtres s'installèrent en Roumanie il y a 300 ans fuyant les persécutions du tsar en Russie.

Seuls 1250 d'entre eux, la plupart retraités, vivent en permanence dans le village, les autres travaillant principalement en Italie, notamment dans la construction et les soins aux personnes âgées.

Outre le «lipovène», du Russe ancien, il n'est pas rare d'entendre parler italien dans les rues.

«Malheureusement, cette affaire a sali l'image de notre village alors que nous sommes des travailleurs», regrette une grand-mère qui livre juste son nom de famille, Pamfil.

Les Lipovènes sont connus pour avoir travaillé par milliers sur des chantiers publics sous le communisme.

Radu Dogaru, principal accusé du vol et âgé d'une vingtaine d'années, fait partie d'une famille mixte, mère lipovène, père roumain.

Il allait souvent aux Pays-Bas avec sa compagne, originaire du village qui se prostituait là-bas.

Déjà dans le collimateur de la justice pour des affaires d'homicide et de trafic de personnes, il est décrit comme «violent» et «leader d'une bande criminelle» par certains villageois.

«Quand il arrivait ici, on était sûr que les choses allaient mal se passer. Cette bande volait, menaçait», confie un habitant qui préfère garder l'anonymat par peur de représailles.

Olga, la mère de Radu vivait jusqu'à son arrestation dans une coquette maison blanche. C'est ici qu'elle aurait brûlé les tableaux après les avoir déterrés du cimetière dans lequel elles les avaient cachés après l'arrestation de son fils.

Aujourd'hui, la maison est occupée par une de ses amies qui refuse l'entrée aux journalistes et dit «ne rien savoir» sur les tableaux.

Dogaru aurait aussi, sans l'informer sur la nature du colis, stocké les tableaux chez sa tante Marfa, très appréciée dans le village.

«Je suis encore sous le choc», dit-elle à l'AFP.

Parmi les tableaux volés figurent une Tête d'Arlequin de Pablo Picasso, le Waterloo Bridge et le Charing Cross Bridge de Londres de Claude Monet et Femme devant une fenêtre ouverte, dite la fiancée de Paul Gauguin.

«S'ils ont été brûlés, ce serait très triste car ils sont un patrimoine pour les générations futures», dit Iacob Iacob, un habitant travaillant en Italie mais revenu pour les vacances.

Dans cette communauté très croyante, le prêtre de l'église lipovène Vasile Ivli, a appelé ses paroissiens à dire tout ce qu'ils savent sur le sort de ces tableaux.