Le célèbre artiste japonais Hiroshi Sugimoto, 65 ans, maître du noir et blanc, voit la photographie «comme une machine à remonter le temps». Il est présent aux Rencontres d'Arles avec deux expositions d'un minimalisme très travaillé.

Révolution présente une dizaine de tirages de sa série de paysages marins nocturnes Seascape réalisés à partir des années 1980.

«Je suis allé dans les endroits les plus reculés de la planète comme Terre-Neuve pour faire ces images», explique Hiroshi Sugimoto dans un entretien à l'AFP. «Je voulais photographier la mer dans des endroits où ne passent ni cargos, ni pétroliers ni yachts».

Dans la nuit profonde, presque métaphysique, la terre, la mer, le ciel. Et puis la lune, simple point ou long trait lumineux selon le temps de pose retenu.

Récemment, l'artiste a eu l'idée de faire pivoter ses paysages marins de 90 degrés, renversant la perception. «C'est comme si on regardait depuis l'espace», souligne-t-il.

«Cette série est liée à mon premier souvenir d'enfance. J'avais trois ou quatre ans lorsque j'ai vu un très beau paysage marin, avec des lignes très nettes».

«Cela m'a fait une très forte impression. J'ai compris que j'étais là, que j'étais né, que j'étais un être humain», dit-il. «Devenu adulte, j'ai cherché à recréer ce souvenir avec la photographie».

«Les hommes ont totalement transformé la surface de la terre en la cultivant, mais ils n'ont pu modifier la mer. Il y a des milliers d'années, les premiers hommes regardaient sans doute les mêmes paysages marins que nous», relève l'artiste qui vit entre Tokyo et New York.

«La photographie est une machine à remonter le temps pour moi. Avec elle, je peux voyager en arrière dans l'histoire.»

«Joyau»

Né en février 1948 à Tokyo, Hiroshi Sugimoto a étudié l'art au début des années 1970 à Los Angeles.

«Je voulais être un artiste conceptuel et la photographie constituait un bon medium» pour cela, explique Sugimoto installé à New York en 1974.

Admirateur du surréaliste Marcel Duchamp, Sugimoto a réalisé de très nombreuses expositions dans le monde.

Il procède par séries: photographies de salles de cinéma à l'ancienne, d'architectures, mais aussi de personnages célèbres en cire.

Sugimoto ne photographie pas les vivants. «Je photographie seulement des gens morts, le portrait en cire de figures historiques»: Napoléon, Lénine mais aussi Lady Diana.

Pourquoi des morts? «Parce qu'ils ne bougent pas!», répond-t-il en riant.

Invité star des Rencontres d'Arles qui ont choisi pour thème le noir et blanc cette année, Sugimoto en défend les mérites. «Le noir et blanc est plus abstrait, plus pur; c'est comme un joyau».

Sugimoto travaille quasi exclusivement en noir et blanc. «C'est davantage un défi car presque personne ne fait du noir et blanc désormais».

Comme l'artiste ne manque pas d'humour ni d'esprit de contradiction, il a cependant tenu à présenter à Arles in Black une exposition sur «les couleurs de l'ombre».

Elle est constituée notamment de photos polaroïd rendant perceptibles les infinis dégradés d'une couleur donnée.

De façon très scientifique, Sugimoto a travaillé plusieurs années sur la décomposition de la lumière.

Il a utilisé pour cela les derniers films polaroïd existant au Japon.

Un jour de 2008, Pierre-Alexis Dumas, directeur artistique d'Hermès est venu le voir à Tokyo pour lui demander un projet sur le fameux foulard carré de la marque de luxe, raconte à l'AFP Victor Borges, directeur Soie et textile de la société.

«Il y avait quelque 200 polaroïds posés sur le parquet de l'atelier». Hermès a sélectionné vingt images pour réaliser de grands carrés de soie en édition limitée vendus 7000 euros pièce. Plusieurs sont présentés dans l'exposition.