À travers six énormes boîtes en métal rouillé posées dans la nef d'une église vénitienne, l'artiste chinois Ai Weiwei raconte ses 81 jours de détention au printemps 2011, ultime pied de nez du dissident aux autorités de son pays.

Dans le cadre baroque de l'église Saint-Antonin, à dix minutes de la place Saint-Marc, cette présence insolite attire en masse les journalistes, qui se penchent avec curiosité pour découvrir à travers de petites ouvertures le contenu de ces mystérieuses boîtes.

Comme dans une maison de poupées métamorphosée en prison, l'artiste, qui n'a pu se rendre à Venise faute de passeport, s'autoreprésente dans six scènes tirées de son incarcération: couché en train de dormir, nu sous la douche, marchant dans sa cellule, prenant un repas, parlant et enfin faisant ses besoins.

Des scènes de la vie quotidienne qui seraient somme toute banales sans l'omniprésence de deux gardiens en uniformes qui ne lâchent pas d'une semelle leur célèbre détenu, y compris lorsqu'il va à la selle.

Une atteinte à l'intimité qui met d'autant plus mal à l'aise le visiteur qu'il se trouve lui-même dans la position du voyeur espionnant les faits et gestes de Weiwei à travers une fenêtre ou une lucarne.

Le réalisme de ces tableaux sans fioritures fait écho à l'esthétique traditionnelle du pays communiste, insolite dans le cadre baroque de cette jolie église. Un choix provocateur et iconoclaste lorsque l'on connaît les rapports tourmentés du régime chinois avec l'Église catholique.

Les six boîtes, hautes d'environ un mètre cinquante et longues de trois mètres cinquante, s'intègrent parfaitement dans leur environnement: leur sobriété s'inscrit avec élégance dans l'architecture théâtrale de la petite église.

L'exposition, intitulée S.A.C.R.E.D, a été réalisée par la galerie Lisson, présente à Londres et Milan (www.lissongallery.com), et sera visible jusqu'au 15 septembre.

«Il s'agit d'une prise de position à la fois personnelle et politique», a expliqué à l'AFP Greg Hilty, directeur artistique de la galerie.

«Cette expérience a été très traumatisante pour Ai Weiwei, qui a éprouvé le besoin de l'exorciser», résume le galeriste, qui voit aussi dans ce travail «la recherche par un homme de son identité».

Parallèlement à cette oeuvre, l'artiste chinois a publié la semaine dernière sur internet un vidéoclip qui décrit lui aussi de façon à la fois sombre et ironique sa détention (https://aiweiwei.com/music).

Ai Weiwei a expliqué à un journaliste du bureau de l'AFP à Pékin qu'il avait créé pour cette vidéo une «réplique exacte» de la pièce dans laquelle il avait été gardé au secret.

«Il y a tellement de prisonniers politiques en Chine qui sont détenus dans des conditions pires que ce qu'on été les miennes», a relativisé le plasticien, tout en donnant quelques détails insolites sur cet épisode: «Les gardes me demandaient de leur chanter des chansons... même dans un tel endroit, les gens ont toujours de l'imagination».

«Je n'ai toujours pas récupéré mon passeport, et les autorités n'ont jamais expliqué pourquoi» elles me l'avaient confisqué, a déploré l'artiste, qui expose une autre oeuvre au pavillon allemand de la biennale, sans rapport cette fois avec l'épisode douloureux de sa détention.