La provocante Olympia de Manet se confronte pour la première fois à son modèle, la sensuelle Vénus d'Urbino du Titien, dans une exposition au Palais des Doges à Venise: un choc esthétique et un événement pour l'histoire de l'art.

L'exposition Manet. Retour à Venise, qui ouvre ses portes mercredi au public dans l'appartement du Doge, est organisée par la Fondation des musées de la ville de Venise et le musée d'Orsay qui présente 23 tableaux de Manet, dont Olympia (1863), ainsi qu'une vingtaine de dessins.

Côte à côte, Olympia (1863), à qui le modèle Victorine Meurent a prêté ses traits, se mesure à la Vénus d'Urbino peinte par Titien trois cents ans plus tôt.

Édouard Manet (1832-1883), formé aux maîtres anciens, notamment italiens, a copié cette huile lors de son voyage à Florence en 1857.

La rencontre entre ces «deux scandaleuses», comme les appelle Guy Cogeval, président du musée d'Orsay, relève de l'exploit. La Vénus d'Urbino, peinte en 1538 par Titien, est conservée aux Offices à Florence et elle bouge très rarement.

«Il a fallu l'aide du président du Conseil Mario Monti, du ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius et de son homologue italien, du ministre italien de la Culture et du maire de Venise pour parvenir à obtenir ce prêt des Offices», explique à l'AFP Gabriella Belli, directrice des Musées de la ville depuis fin 2011.

M. Cogeval tenait absolument à cette confrontation inédite. «L'une ne serait pas venue sans l'autre», reconnaît Mme Belli.

«Pour parer à toute polémique sur le départ d'Olympia, qui n'avait jamais quitté la France, j'ai préféré demander l'autorisation du président François Hollande», rappelle M. Cogeval, qui aurait pu se contenter du feu vert du ministère français de la Culture.

Soigneusement emballée dans une caisse, la belle Olympia a voyagé en camion, escortée par Jean Naudin, responsable des expositions internationales d'Orsay. Sur la fin, elle a été transportée en barge jusqu'à la Place Saint Marc où elle a été déchargée par un bras articulé. Un moment stressant, reconnaît M. Naudin.

La toile de Manet représente une prostituée allongée nue, à qui une servante noire apporte un bouquet de fleurs, tandis qu'un chat noir dresse la queue. Sa présentation en 1865 avait suscité un déluge de critiques.

Olympia garde un petit parfum sulfureux. La bannière déployée sur le Palais des Doges pour annoncer l'exposition reproduit sagement Le fifre de Manet.

«Je n'ai pas voulu mettre Olympia à côté de la basilique Saint Marc, par respect», déclare Mme Belli.

À première vue, le choc des deux beautés, resté jusqu'à présent limité aux images dans les livres d'histoire de l'art, peut sembler rude pour l'icône du musée d'Orsay, mais au final elle s'en tire bien.

La Vénus d'Urbino représente elle aussi une courtisane, allongée nue, un petit chien à ses pieds. Elle penche la tête, séductrice, et son regard est irrésistible.

Guy Gogeval, commissaire général de l'exposition, en est lui-même «bouleversé»: «C'est l'un des plus beaux tableaux du monde», dit-il.

À l'inverse, Gabriella Belli, elle aussi commissaire générale, confie sa préférence pour Olympia, «femme moderne, menue, mais pleine d'énergie et de caractère».

La Vénus d'Urbino du Titien est une commande liée au mariage du duc d'Urbino avec une toute jeune fille. «Le tableau était destiné à la chambre des époux et se voulait une stimulation pour le couple», selon Stéphane Guégan, commissaire scientifique de l'exposition.

Celle-ci, qui présente quelques 80 oeuvres dont des «contrepoints italiens» à Manet (Carpaccio, Guardi, Lotto), dure jusqu'au 18 août.

C'est une première pour Édouard Manet qui n'avait jamais été célébré par une exposition d'envergure en Italie.

«L'Italie a été une source féconde, durable et permanente du génie de Manet, ce qui a été longtemps impossible à dire tant l'influence de l'Espagne sur lui a été mis en avant», assure M. Guegan.