Le Louvre sonde l'identité allemande à travers sa peinture dans une grande exposition De l'Allemagne (1800-1939), de Friedrich à Beckmann, qui doit être inaugurée mardi par le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault et le ministre allemand de la Culture Bernd Neumann.

«En France, il y a toujours eu une négligence pour l'art allemand, comme si il était très éloigné de nous, comme si on ne le comprenait pas très bien», déclare à l'AFP Henri Loyrette, patron sortant du Louvre et commissaire général de l'exposition qui ouvre jeudi au public. «Au XIXe siècle puis au XXe, l'intérêt a été surtout littéraire, philosophique ou musical, comme si les Allemands n'étaient pas peintres».

L'exposition, qui participe de la célébration des 50 ans du traité de l'Élysée entre la France et l'Allemagne, permet au visiteur de mesurer les différences culturelles notamment dans le traitement pictural du paysage mais aussi de saisir le message universel de certains des artistes allemands de l'entre-deux-guerres confrontés à la montée du nazisme.

En plus de 200 oeuvres, l'exposition entend démontrer que l'Allemagne, qui n'a accédé au rang d'État-nation qu'à partir de 1871, a construit son identité culturelle autour de «trois grandes forces motrices: le rapport à l'histoire, à la nature et à l'humain», souligne Sébastien Allard, conservateur en chef au département des peintures du Louvre. Co-commissaire de l'exposition, il a travaillé avec Danièle Cohn, professeur de philosophie.

De l'Allemagne, qui emprunte son titre à un ouvrage de Mme de Staël, s'ouvre avec le fameux portrait de Goethe dans la campagne romaine (1787) de Tischbein. Le poète et philosophe, vêtu d'un manteau blanc et d'un chapeau, médite au milieu de ruines antiques.

La première partie de l'exposition invoque Apollon et Dionysos. «Depuis la seconde moitié du XVIIIe, l'Allemagne se rêve grecque. La référence hellénique apparaît comme le moyen de régénérer les beaux-arts», soulignent les commissaires.

Alors que l'unité nationale est en passe de se réaliser sous l'égide de la Prusse, après la victoire sur la France, l'heure n'est plus à l'élégie et la figure de Dionysos s'impose. Les pulsions primitives éclatent. La forme se libère.

La peinture du suisse Arnold Böcklin (1827-1901), perçue comme très allemande, éclate de vitalité, d'audace. Dans son «Jeu de néréides» de 1886, les figures marines sont sensuelles, ironiques, presque grotesques.

«Paysage national»

Le rôle de la nature dans la constitution de l'identité allemande occupe une place centrale dans l'exposition. Sous l'influence de Goethe, la peinture de paysage se fait connaissance géologique du monde. Carl Gustav Carus (1789-1869) peint des montagnes dans un esprit quasi scientifique.

Caspar David Friedrich (1774-1840), icône du romantisme allemand, recommande de fermer son «oeil physique» pour voir d'abord avec son «oeil de l'esprit».

Plusieurs de ses oeuvres dessinent un «paysage national». Le célèbre Arbre aux corbeaux (1822) du Louvre est planté sur un tumulus, tombe druidique, qui renvoie aux racines allemandes.

L'exposition, qui dure jusqu'au 24 juin, monte encore en intensité lorsqu'on aborde l'être humain, pris dans la première guerre mondiale puis dans la montée du nazisme et de la barbarie: Danse des morts en 1917 d'Otto Dix, Le suicide (1916) de George Grosz.

Le terrible Enfer des oiseaux est peint en 1938 par Max Beckmann réfugié au Pays-Bas après avoir été stigmatisé dans l'exposition sur «l'art dégénéré» de 1937. Un redoutable oiseau - renvoyant sans doute à l'aigle du IIIe Reich - lacère avec un couteau un homme allongé, figure vraisemblable de l'artiste.