Pour compenser les coupes budgétaires qui tarissent les aides publiques, les musées espagnols inventent des stratégies de survie en exposant à l'étranger des tableaux de leurs maîtres, en élargissant leurs plages horaires ou en augmentant leurs tarifs.

Dans son effort d'assainissement des finances publiques, le gouvernement espagnol de droite a réduit cette année de presque 20%, à 722 millions d'euros, ses dépenses consacrées à la culture, obligeant les plus grands musées du pays à se lancer à la recherche de nouvelles recettes.

«Nous devons optimiser la capacité du musée afin de générer des revenus, en attirant plus de visiteurs et en augmentant la consommation», explique Evelio Acevedo, directeur général du musée Thyssen-Bornemisza de Madrid.

En 2013, les financements publics seront réduits de 33% pour le Thyssen-Bornemisza, qui expose des tableaux allant du Greco à Pablo Picasso dans un palais du 18e siècle, de 30% pour le Prado et de 25% pour le Reina Sofia, un autre musée madrilène qui héberge le Guernica de Picasso.

Le tour de vis budgétaire, assorti à la perte l'an dernier de ses deux principaux sponsors commerciaux, a mis le Thyssen «dans une situation financière très compliquée», raconte Evelio Acevedo, même si le succès, en 2012, des expositions temporaires a aidé le musée à traverser la tempête.

Une exposition consacrée au peintre réaliste américain Edward Hopper a attiré 322 421 visiteurs, un record en vingt ans d'existence du musée. Pour le Thyssen, la stratégie est double: exposer des peintres connus, au succès garanti, tout en attirant un autre profil de visiteurs moins habitués des musées.

Une récente exposition de la collection Cartier montrait ainsi les bijoux portés par la princesse Grace de Monaco pour les photos officielles de son mariage en 1956, ainsi qu'un collier de rubis et diamants ayant appartenu à l'actrice américaine Elizabeth Taylor.

La présence de Charlotte Casiraghi, la petite fille de Grace Kelly, au dîner d'inauguration, a ajouté à la publicité de l'événement.

«Cette expérience a permis de sortir du seul champ de la peinture et d'attirer un public plus large», remarque Evelio Acevedo. L'exposition, avec 101 531 visiteurs, a contribué au record de 1 255 281 entrées affiché par le musée en 2012.

Déjà, pour doper ses revenus, le Thyssen loue des salles pour des réceptions, à un prix pouvant atteindre 50 000 euros. Un café en terrasse va ouvrir aux clients hors visiteurs et depuis janvier, le musée est ouvert sept jours sur sept, suivant l'exemple du Prado.

En février, le Prado, le plus grand musée espagnol avec 2,8 millions de visiteurs l'an dernier, a augmenté ses tarifs: il faut désormais débourser 14 euros pour découvrir les oeuvres maîtresses de Francisco Goya ou Diego Velazquez.

Pour s'en sortir, ces musées choisissent aussi de s'exporter: ainsi l'exposition Portraits d'Espagne: chefs d'oeuvre du Prado, qui retrace l'évolution de la peinture espagnole depuis le 16e siècle, a voyagé en Australie puis aux États-Unis.

Mais le directeur du Prado, Miguel Zuzaga, souligne que le choix des destinations est guidé par des critères culturels et non de rentabilité. «En aucun cas nous ne fournirons des expositions au plus offrant», assurait-il lors de la présentation de Portraits d'Espagne.

À mesure que fondent les subventions, les musées font aussi la chasse aux mécènes privés: la Fondation des Amis du Prado comptait 22 831 adhérents individuels en 2012, contre 9132 en 2010, et a rapporté en 2012 un peu plus d'un million d'euros.

En novembre, le Reina Sofia a lui aussi inauguré sa fondation à but non lucratif, parrainée par de riches hommes d'affaires espagnols et sud-américains. Mais dans un pays peu coutumier du mécénat, à l'inverse de la Grande-Bretagne ou des États-Unis, l'exercice est difficile, remarque le directeur du musée, Manuel Borja-Villel. «C'est une autre culture», souligne-t-il. «Les lois sont différentes. C'est un autre monde».