Plébiscité à l'étranger, convoité par les malfrats, Edvard Munch est en mal de reconnaissance dans son propre pays, la Norvège, qui peine à lui donner un musée digne de son oeuvre.

Auteur du Cri, un tableau devenu une véritable icône, Munch aurait eu 150 ans en 2013, anniversaire assombri par l'incapacité de la municipalité d'Oslo à donner un écrin au joyau que le peintre lui a confié.

À sa mort en 1944, Munch avait légué à la Ville une collection gigantesque comprenant 1100 peintures, 3000 dessins et 18 000 gravures. Un trésor inestimable auquel le petit musée construit à bon marché dans un quartier déshérité après la guerre ne rend pas justice.

«Il est grand temps de disposer de quelque chose de plus moderne qui permette de mieux accueillir le public et d'exposer l'oeuvre de Munch sous d'autres perspectives, dans des contextes plus larges, aussi bien le sien que le nôtre», explique le directeur du musée, Stein Olav Henrichsen.

Si l'idée d'un dépoussiérage fait l'unanimité, les divergences apparaissent, crûment, sur le futur emplacement de la collection.

Après être tombée d'accord en 2008 sur le principe d'un nouveau bâtiment tout près de l'opéra sur les rives du fjord d'Oslo, la municipalité s'est déchirée quand, trois ans plus tard, la droite populiste a soudain retiré son soutien.

Un coup d'éclat d'autant plus gênant qu'un cabinet d'architectes espagnol avait été déjà retenu avec son projet Lambda, un immeuble incliné d'allure ultramoderne.

Depuis, c'est l'impasse. Aucune des possibilités envisagées ne recueille de majorité: ni le concept des Espagnols, ni un déménagement dans le bâtiment central mais vieillot aujourd'hui occupé par la Galerie nationale, ni le maintien, moyennant rénovation, dans le quartier actuel, à l'écart du centre.

«De Lambda à nada», s'agace-t-on à Oslo.

Si les coûts estimés sont sensiblement les mêmes pour chaque projet, aux alentours de 1,6 milliard de couronnes, les différences portent sur la fréquentation attendue, le calendrier et la future morphologie d'Oslo.

Cette paralysie, qui sonne comme un désaveu de l'artiste norvégien le plus connu au monde, contraste avec son immense popularité internationale.

Un million de personnes ont visité l'exposition qui lui a été récemment consacrée à Paris, Francfort et Londres, et un des quatre exemplaires du Cri, le seul en des mains privées, a été adjugé pour la somme record de près de 120 millions de dollars cette année à New York.

Bien qu'il possède deux versions du Cri, le musée Munch d'Oslo peine, lui, à attirer les foules avec environ 126 000 visites par an. Un chiffre dont on n'est pas sûr qu'il augmente massivement dans un bâtiment flambant neuf.

«Je ne crois pas que les Norvégiens aient vraiment saisi la puissance de l'oeuvre d'Edvard Munch», confie M. Henrichsen. «Ici, son importance tant culturelle qu'économique est sous-estimée».

Les descendants du pionnier de l'expressionnisme, eux, s'impatientent.

«Honteux et scandaleux», lâche son arrière-petite-nièce, Elisabeth Munch Ellingsen.

«Vu le trésor sur lequel ils sont assis, c'est une honte que les politiciens locaux n'arrivent pas à trouver une solution. Pourtant, quand ils ont décidé de postuler aux JO d'hiver, ça leur a pris cinq minutes», dit-elle à l'AFP.

Même s'il est représenté sur les billets de 1000 couronnes, la plus grosse coupure du pays, ce n'est pas la première fois que Munch est malmené sur sa terre natale.

La Ville d'Oslo a ainsi démoli la maison qui lui avait léguée, et l'emplacement a été partiellement transformé en parking.

En Norvège, seuls les malfaiteurs semblent vraiment trouver le peintre à leur goût: deux exemplaires du Cri ont été dérobés en 1994 et 2004. Chaque fois, ils ont été retrouvés.