Des personnes qui n'ont jamais vu la mer ou qui ont perdu la vue subitement, une mère qui meurt et dont elle va lire en public les journaux intimes: l'artiste française Sophie Calle explore l'absence, avec deux expositions à Arles et à Avignon, dans le sud de la France, cet été.

À l'occasion des Rencontres photographiques d'Arles, elle présente jusqu'au 2 septembre Pour la dernière et pour la première fois, réunion de deux projets conçus à Istanbul en 2010 et 2011. La dernière image vue par des aveugles plongés brutalement dans la cécité. Et, très émouvant, le regard d'habitants déshérités de cette ville découvrant pour la première fois la mer, filmés avec Caroline Champetier.

À Avignon, à partir du 7 juillet, l'artiste parle de sa mère dont elle a filmé les onze dernières minutes de vie en 2006. Un travail déjà présenté à Venise et Paris et qui constitue «l'épine dorsale» de cette exposition enrichie d'autres matériaux artistiques.

«Les derniers mois de sa vie, j'avais installé une caméra au pied du lit de ma mère, agonisante, car j'avais peur de ne pas être là au moment de sa mort. Elle s'était exclamée «enfin!» car elle aimait être le centre d'attention», raconte Sophie Calle à l'AFP. «Jusqu'alors, je n'en avais jamais fait un personnage central de mon travail».

«Elle m'avait demandé de mettre du Mozart au moment où elle mourrait. Il m'a fallu onze minutes à chercher un souffle, un pouls, avant d'accepter de voir qu'elle était morte et de lancer la musique. Ce sont onze minutes insaisissables, entre vie et mort».

L'artiste, née en 1953, présente aussi des photographies du voyage au pôle Nord qu'elle a fait après le décès de sa mère qui rêvait d'y aller. «J'y ai enterré le diamant qu'elle m'avait donné».

Invitée du Festival d'Avignon, Sophie Calle va lire pour la première fois les journaux intimes de sa mère, en public et à voix basse.

«Ce n'est pas morbide»

«Avant de mourir, ma mère m'a laissé une caisse dans laquelle il y avait seize journaux intimes, en me disant d'en faire ce que je voulais avec. Ce sont des agendas, plus ou moins remplis selon les jours, qui commencent en 1980».

«Une de mes amies les a lus pour sélectionner vingt pages qui sont publiées dans mon livre sur ma mère «Rachel, Monique» qui vient de paraître chez Xavier Barral. Pour ma part, je ne les ai encore jamais lus, mis à part ces quelques pages».

«Ouvrir le journal intime de sa mère n'est pas facile. Peut-être ai-je eu peur de découvrir des choses, de ne pas en avoir compris d'autres. Ma mère avait la dent dure. Vais-je trouver de l'agressivité à mon égard?»

«Dans une des pages sélectionnées pour le livre, elle écrit «Sophie est tellement morbide qu'elle viendra me voir plus souvent sous ma tombe que rue Boulard», où elle habitait».

«Je me suis engagée à tout lire d'ici à la fin du Festival d'Avignon. Je serai là à 15 h le premier jour. Après je viendrai quand j'en aurai envie. Je lirai assise sur une chaise, à voix très basse et le son sera diffusé par des haut-parleurs placés en divers endroits de l'église».

«Ce n'est pas morbide», se défend Sophie Calle par avance. «Ma mère est présente dans ma vie, elle m'accompagne avec ce projet. Elle n'était pas dupe de ce qui pourrait arriver si elle m'abandonnait ces agendas. Sinon je ne serais pas permis».

«Par exemple, c'est quelque chose que je ne ferai jamais sur mon père qui est quelqu'un de discret, car je sais qu'il n'aimerait pas».

Sophie Calle n'utilise pas son père tant aimé, le cancérologue et collectionneur d'art Robert Calle, pour ses projets artistiques.

«J'explore plutôt l'absence, un homme qui s'en va, un lit vide, quelqu'un qui ne voit pas, des gens qui n'ont jamais vu la mer, la rupture, une mère qui décède. Mon père, il est là. D'ailleurs, je vais le voir dans dix minutes pour le vernissage de l'exposition» d'Arles.