Quand nous avons vu l'exposition de Marc Séguin au Musée d'art contemporain des Laurentides, à Saint-Jérôme, ce fut en compagnie d'une vingtaine d'enfants assis en cercle, ou passant d'une toile à l'autre, qui faisaient des commentaires étonnants sur les oeuvres de cet artiste «indigné» par la folie autodestructrice de l'espèce humaine. On était loin du joli sapin de Noël. Et pourtant... quel cadeau ce fut!

«Pourquoi l'artiste a-t-il taché ces beaux portraits de goudron?», demande Christelle, l'animatrice qui a bien des tours dans un sac qu'elle traîne avec elle. «Parce qu'il n'aimait pas le monsieur», répond l'un des élèves présents. C'est vrai, mais à moitié vrai, explique la jeune femme. Il faut savoir que le monsieur en question, Roman Abramovitch, a fait fortune dans l'exploitation de pétrole, d'où le goudron, mais il est aussi un grand collectionneur d'art, il soutient les artistes. Marc Séguin est partagé, il l'aime et ne l'aime pas.

«Oui, mais pourquoi n'a-t-il pas mis le goudron autour, près du cadre?», demande un autre enfant, déçu de voir le beau portrait abimé. «Parce qu'il veut nous choquer, nous ébranler», répond la monitrice.

Devant une scène en noir et blanc de la guerre de Sécession, une petite fille remarque le soleil, jaune. «Si le peintre est daltonien demande-t-elle, comment il fait pour savoir que le jaune est la couleur du soleil?» Et nous avons droit ici à une leçon sur le daltonisme, ce défaut de la vue dont est atteint Marc Séguin.

Pourquoi le pape (il s'agit de Léon XIII) a-t-il un vêtement en plumes (de vraies plumes collées sur la toile)? Peut-être parce qu'il en perd, suggère une accompagnatrice. Pourquoi le peintre a-t-il fait deux fois la même scène de ruines, une en rouge et l'autre en noir et gris? Là, on n'a pas eu de réponse, mais on a appris que le rouge de l'une est fait de sang d'agneau, le gris de l'autre, de cendres (il s'agit de cendres humaines).

Les matériaux utilisés par Marc Séguin - plumes, cendres, sang, coyotes et autres animaux empaillés, par exemple, en plus de l'acrylique - surprennent les enfants autant que la dureté et la violence de certaines toiles. Ils inspireront d'ailleurs les exercices que les élèves feront plus tard en atelier où nous les avons suivis. Un atelier qui sent le paprika et le curry, lesquels font partie des matériaux naturels à leur disposition. Ils doivent faire, au fusain, un dessin inspiré de ce qu'ils ont vu: paysages détruits, ruines, accidents, scènes de guerre... Mais on est libre quand même, dit la monitrice, Maude.

À la fin, les élèves de l'école des Ramilles, de Blainville, sont tellement fiers des dessins qu'ils ont faits qu'ils finissent par entourer le photographe de La Presse venu les retrouver. Ils veulent tous, ou presque, être photographiés avec leur oeuvre.

Une oeuvre qui divise

C'est quand même un pari pour un musée d'initier les jeunes à la démarche de Marc Séguin, cet artiste québécois de plus en plus important sur la scène internationale, qui exprime sa colère et ses inquiétudes de telle manière qu'on ne peut que les partager ou, au contraire, les renier et rejeter leur auteur. Marc Séguin réussit malgré tout à satisfaire autant les exigences des musées que celles de collectionneurs particuliers, ce qui est un exploit!

La foi du collectionneur - c'est le titre de l'exposition - présente une cinquantaine d'oeuvres, en majorité de grands et très grands formats, qui appartiennent à cinq collectionneurs préférant garder l'anonymat. Elles sont regroupées par thèmes correspondant à diverses étapes marquant la démarche de l'artiste: la série noire, les autoportraits et portraits d'artistes qui l'inspirent (Bacon, Rothko, Beuys...), la présence importante de la nature et des animaux, le sacré et la mythologie, les scènes de destruction massive.

Alors, les enfants, est-ce que Marc Séguin vous donne le goût de devenir peintres? Ouiiii, répondent quelques-uns, totalement subjugués. «Moi, j'aime pas le goudron...» s'exclame un autre, plus rébarbatif.

Cette exposition, très bien pensée par la commissaire Andréanne Roy, de la galerie Simon Blais à Montréal, est accompagnée d'un excellent catalogue et fera escale dans plusieurs lieux d'exposition au Québec.

Merci à l'exceptionnelle équipe d'animation et d'éducation du Musée d'art contemporain des Laurentides qui reçoit de 6000 à 7000 élèves chaque année. Souhaitons-nous, à nous adultes, des guides de la même envergure pour nos prochaines visites de musées.

Marc Séguin: la foi du collectionneur, jusqu'au 12 février au Musée d'art contemporain des Laurentides, 101, place du Curé-Labelle, Saint-Jérôme.