Malgré la sonorité du mot, le caravagisme n'est ni une maladie ni une forme inusitée de terrorisme. Il s'agit de l'effet du Caravage (1571-1610) sur les peintres de son époque vivant à Rome, alors capitale européenne des arts. Michelangelo Merisi Caravaggio, dont la vie fut loin d'être celle d'un saint, a révolutionné l'art de peindre, rien de moins.

Caravaggio et les peintres caravagesques à Rome, titre de l'exposition présentée au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, réunit 58 tableaux d'une trentaine d'artistes. Une douzaine d'oeuvres sont du Caravage. C'est une exposition savante qui fait le point sur les nouvelles découvertes à propos de l'artiste lombard et de son influence sur les peintres de son temps. On y voit, pour la première fois, un tableau que l'on croyait disparu, Saint Augustin, retrouvé récemment.

On peut dire toutefois que l'influence du Caravage s'étend bien au-delà de Rome et bien au-delà de son temps. Oublié pendant des siècles, Caravaggio fut sorti de l'ombre au XXe siècle par l'historien d'art Roberto Longhi. Certains le considèrent comme le premier peintre moderne. Et son influence perdure. Pas seulement sur des peintres contemporains, aussi sur des cinéastes comme Martin Scorsese.

L'exposition rassemble autour d'une peinture ou d'un petit groupe de peintures de Caravaggio, des oeuvres d'autres artistes sous influence. Artistes italiens, mais aussi de différents pays européens, notamment Pierre-Paul Rubens, Manfredi, Orazio Gentileschi et sa fille Artemesia, Simon Vouet, Georges de la Tour.

Qu'avait donc Le Caravage de si révolutionnaire? Plusieurs choses, comme on le voit dans l'exposition. Le naturalisme des personnages, qu'il s'agisse d'un joueur de cartes ou de la Vierge Marie, d'un musicien ou du Christ; ce qui lui causa des problèmes avec ses commanditaires religieux. L'intensité du clair-obscur donnant encore plus de force à ses mises en scène théâtrales. L'action. Il s'y passe toujours quelque chose. De coquin dans les peintures de genre, de tragique dans les peintures religieuses. Peut-être aussi les sujets choisis ou encore la manière de faire. Le Caravage peignait directement sur des toiles ou autres surfaces, sans se servir d'esquisses ni faire de dessins préparatoires. Il peignait d'après modèles vivants en atelier. On lui a d'ailleurs reproché le choix de certains modèles - des prostituées - pour les figures de la Vierge.

Les peintres caravagesques ne sont pas tous influencés de la même manière. Certains retiendront le clair-obscur, d'autres le sujet, d'autres encore le caractère théâtral. Dans ce dernier cas, il arrive que le disciple dépasse le maître, comme le fait Artemesia, rare femme peintre dans l'histoire de l'art. Mais c'est Caravaggio qui va le plus loin dans le naturalisme jusqu'à la saleté dans les ongles des mains et des pieds des saints. Et c'est aussi le plus provocateur.

Seulement 70 oeuvres du Caravage sont connues. Et aucune n'apparaît dans les collections canadiennes. Il y a en a sept en tout en Amérique du Nord. Avoir réussi à en réunir une douzaine empruntées surtout à des musées européens et américains n'a pas dû être facile pour les commissaires de l'exposition, David Franklin (directeur du Cleveland Museum of Art après avoir été conservateur en chef du MBAC) et Sebastian Schütze, directeur du département d'histoire de l'art à l'Université de Vienne. Caravaggio et les peintres caravagesques à Rome est organisé par le Musée des beaux-arts du Canada et le Kimbell Art Museum, de Forth Worth.

Pour une exposition de ce genre qui fait le point sur les connaissances actuelles, rien ne vaut le catalogue. Celui du Musée, en français, ne coûte que 35$ et plusieurs historiens y participent. En plus de traiter directement de l'exposition, on y parle aussi de ses oeuvres dans les églises et de tableaux importants, absents de l'exposition. Comme Le triomphe de l'amour terrestre, où l'on voit un jeune garçon nu, dans son plus simple appareil malgré ses ailes d'ange, et dans une pose provocatrice. C'est une de ses oeuvres les plus célèbres et les plus irrévérencieuses. On y trouve aussi des renseignements sur l'état du marché de l'art en cette époque où les collectionneurs privés et les connaisseurs font leur apparition aux côtés des mécènes religieux. On peut aussi se procurer gratuitement le dépliant fort bien fait qui, une fois déplié, a la taille d'une affiche. Il s'adresse à des non-initiés et rappelle les moments importants de la vie tumultueuse de Caravaggio, homme visionnaire mais violent, souvent écroué pour coups et blessures et même condamné pour meurtre.

Caravaggio et les peintres caravagesques à Rome, au Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, jusqu'au 11 septembre 2011. Ouvert tous les jours de 10h à 17h; le jeudi de 10h à 20h. Entrée: 15$ (adultes).