Créée en 2007, la Fondation pour l'art contemporain DHC/ART vient de réussir un bon coup. Organiser la première rétrospective au Canada des oeuvres de l'artiste américain John Currin est un tour de force. Y adjoindre les sculptures macabres de la Belge Berlinde De Bruyckere ajoute à l'intérêt de cet événement aussi marquant que troublant.

«Pourquoi mettre un homme ouvertement sexiste sur un piédestal?», s'indignait récemment une internaute sur le site Facebook de DHC/ART, en référence à la conférence présentée par l'artiste figuratif américain John Currin à Montréal, mardi, dans le cadre de l'exposition de ses oeuvres dans le Vieux-Montréal.

Critiqué pour sa peinture grandiloquente et caricaturale des femmes, John Currin dérange. Et plus il peint, plus il dérange, son art teinté d'humour s'aventurant dans un univers lubrique que fuient chastes et prudes.

S'il n'a pas le doigté et le côté égrillard d'un Alain Aslan, John Currin puise dans la même tradition portraitiste européenne où il est encensé et surprend autant que de ce côté de l'Atlantique.

Les grands musées américains, la Tate Gallery de Londres et le Centre Pompidou de Paris possèdent de ses oeuvres. Son huile Edwardian (2010) a été vendue par Sotheby's jeudi pour 1,1 million. Et il n'a pas 50 ans...

John Currin a parcouru son exposition avec les médias, mercredi, commentant ses 24 huiles peintes au cours des 20 dernières années, qui proviennent de musées et de collections privées.

Il a évoqué ses influences (Picasso, Courbet, Poussin) et ses sources d'inspirations: la pub, la BD, l'imagerie populaire, le cinéma, sa femme Rachel, Playboy et les revues pornos scandinaves des années 70.

Ses portraits des années 90 n'ont rien de romantique. Les couleurs sont ternes: ocres et terre de Sienne, façon carte postale du XIXe. Les personnages, féminins au départ, changent de sexe comme son Old Guy (1994) inspiré d'un Christopher Plummer barbu, ou ont des visages cassants, sans tendresse, et des membres décharnés.

Puis les chairs des femmes, dont la sienne, prennent un air de Renaissance. «Ma peinture portait alors moins sur le regard de l'homme que sur le désir», dit-il.

Le quatrième étage de l'exposition est le plus osé. Les trois toiles érotiques Rotterdam, Malmo et Deauville sont crues. Elles illustrent la fascination de Currin pour Courbet, qui choqua tant les collets montés en 1866 avec L'origine du monde.

Pourtant, si le pinceau de Currin a le réalisme de la lentille, le peintre n'est ni indécent ni obscène. La toile est coquine, oui, et révèle l'intimité de couples en train de faire l'amour, mais Currin est de son temps, l'ère la plus extravertie depuis le paléozoïque et la disparition des trilobites...

En recherche d'une élégance non classique et traduisant avec ironie les prétentions et les errances sociales de l'Occident, John Currin rejoint sur ce point Berlinde De Bruyckere.

De Bruyckere

Tout aussi imprégnée des grands maîtres du passé - dans son cas flamands - la sculpteure belge revendique une finalité dans son travail, une réflexion sur la souffrance et la mort. Ses sculptures choquent et soulignent, avec leur sévérité médiévale, qu'humanité est synonyme de bienfaisance.

Les commissaires Phoebe Greenberg (première expérience en cela de la directrice fondatrice de DHC/ART) et John Zeppetelli ont du coup choisi des oeuvres fortes, typiques de son travail métaphorique.

Berlinde De Bruyckere a acquis sa notoriété à la Biennale de Venise de 2003. Elle y avait exposé The Black Horse, un cheval au corps déformé. À Montréal, elle expose Les Deux (2007), deux chevaux grandeur nature moulés à partir de cadavres et placés sur des tréteaux «pour les surélever de la mort».

À côté ont été suspendus deux semblants de corps humains en cire, sans tête - pour leur donner un sens universel -, douloureux et gris rappelant la crucifixion du Christ. Des oeuvres si dures que l'artiste avoue avoir été bouleversée de les réaliser.

«Les choses qui m'occupent sont existentielles, dit-elle. Je ne suis pas une femme triste, mais j'essaie de montrer qu'il faut parler de la mort et de la souffrance. Sinon, on est seul et abandonné.»

John Currin et Berlinde De Bruyckere, à DHC/ART (451-465, rue Saint-Jean) jusqu'au 13 novembre.