De retour de Cuba où il a vécu 10 ans, le sculpteur québécois d'origine espagnole Kieff expose 10 oeuvres monumentales cet été en Montérégie. À Beloeil, sept pièces rendent hommage au sculpteur Jordi Bonet. Trois autres oeuvres décorent le centre-ville de Saint-Lambert.

Kieff Antonio Grediaga. L'artiste lui-même est monumental. Monument de culture. Montagne d'humanité. Le Madrilène, qui a choisi il y a près d'un demi-siècle de forger sa vie au Québec, n'oublie ni d'où il vient ni qui sont ses amis et ses passions.

Kieff est parti à Cuba, il y a 10 ans, vivre une expérience personnelle et artistique dans l'île castriste. Il est revenu jeter son ancre sur les rives du Richelieu, retrouver sa famille, son atelier, la patrie qu'il a choisie et attester qu'il n'a guère chômé dans son atelier de la Habana Vieja.

Cet été, amateurs d'art et de plein air seront bien aise d'aller, à bicyclette ou en auto, admirer des spécimens de son génie métallique à Saint-Lambert et à Beloeil. Car Kieff est un monument de la sculpture contemporaine, toujours exalté, à 75 ans, par l'élan irrépressible de son inspiration.

Ses oeuvres habitent bien des musées, des jardins publics et des collections privées de la planète. Saint-Lambert en expose trois cet été. Au parc du Village, on peut admirer El Portico del Olvido, trois arcs coloniaux en fer dédiés au poète andalou Federico Garcia Lorca, assassiné par les franquistes en 1936. Une oeuvre carrée illustrant le courage et la grandeur du supplicié.

Coin Elm et Victoria, deux colonnes, louent le sculpteur Brancusi tandis que, près de la mairie, Abanico Taurino est dédiée à la corrida, el abanico étant l'éventail dont les femmes se parent dans la chaleur de l'arène. Quelques magasins de Saint-Lambert exposent aussi des bronzes délicats créés de 1970 à 2003.

Musique moulée en fer

À Beloeil, sept oeuvres monumentales ont été placées au bord du Richelieu menaçant, sur un triangle de verdure du centre culturel. Intitulées Le chant du fer, elles sont le fruit d'une longue réflexion, la transposition en fer massif de Siete canciones populares españolas, oeuvre lyrique du compositeur espagnol Manuel de Falla (1876-1946).

Kieff - qui est aussi ténor - a voulu mouler la musique de Manuel de Falla dans le fer du Québec, comme pour fondre dans le métal ces régions de l'Espagne évoquées par les sept chansons impressionnistes.

«J'ai mis 40 ans à écouter l'oeuvre pour finalement parvenir à réaliser ces pièces, dit-il. Il y a des choses qu'on ne peut expliquer. L'oeuvre vient à vous et une ligne, soudain, vous amène à une autre.»

Kieff a créé des maquettes en bois (jeune, il a été ébéniste) puis, de La Havane, il a commandé les pièces au Québec où elles ont été découpées et envoyées à Cuba. Là-bas, il les a polies, assemblées et exposées sur la Plaza Vieja de la capitale cubaine.

Les sept oeuvres qui totalisent 60 tonnes (et valent 1,3 million) ne contiennent aucune soudure. Chacune est le résultat d'un assemblage et d'une fermeture grâce à des chevilles de fer.

El Paño moruno, par exemple, fait référence à l'Andalousie de l'époque coloniale espagnole (arc supérieur de l'oeuvre) et aussi à sa période maure (greffon d'une sorte de lettre arabe).

Polo, massive et éclatée, est plus gitane, libre et convulsée. En tournant autour, ces masses de fer en équilibre parfait ont l'air de danser sur un flamenco d'Enrique Morente.

Kieff aime que les visiteurs interagissent avec ses oeuvres comme le fait le temps qui les enrouille. «Ce ne sont pas des statues mortes, dit-il. J'aime voir les enfants grimper sur mes sculptures, les fouler du pied, se rendre à leur sommet comme le font les enfants de La Havane, ou y inscrire des graffitis.» Il est dommage toutefois qu'il n'y ait pas plus d'explications autour des oeuvres. On n'a pas tous la chance de les admirer en compagnie de l'artiste.

Kieff célèbre avec cette expo le 40e anniversaire de sa rencontre avec son ami Jordi Bonet. «On parlait toujours de sculpture, lui et moi. Notre belle amitié a pris fin quand je lui ai servi son dernier repas le 24 décembre 1979, une paella que je lui avais apportée à l'hôpital...»

Ce n'est donc pas un hasard si ses sculptures sont placées au bord du Richelieu, en face du manoir Campbell où Huguette et Jordi Bonet vécurent et travaillèrent dans les années 70.

«C'est la raison pour laquelle j'aimerais bien qu'elles restent plus longtemps qu'un été ici, qu'elles voient la neige et que s'y pendent des glaçons. Ce serait merveilleux.»

Kieff expose Le chant du fer: hommage à Jordi Bonet au Centre culturel de Beloeil, jusqu'au 1er septembre, et Rétrospective 1970-2003, au centre-ville de Saint-Lambert. Information: www.kieffantoniogrediaga.com