Comment fait-on pour supporter notre plat quotidien, avec son lot de futilités, après avoir été témoin des guerres en Irak, en Afghanistan ou au Liberia? Comment vivre à peu près normalement son «retour à la maison» ? C'est ce qu'aborde Photog, performance photographique basée sur les témoignages de trois photographes, dont l'un vient de perdre la vie en Libye.

Créée l'an dernier à Toronto, Photog est née d'une interrogation: pourquoi sommes-nous aussi déconnectés de ce qui se passe dans certains pays? Pire, pourquoi sommes-nous devenus insensibles aux «situations difficiles» qui nous sont rapportées d'un peu partout dans le monde? Pourquoi cet aveuglement volontaire?

«Consciemment ou non, on se détourne systématiquement de ces questions-là, estime Jay Dodge, acteur vancouvérois qui interprète le rôle de Thomas Smith dans Photog. Alors, nous nous sommes tournés vers trois photographes de guerre qui, eux, ont décidé d'y faire face, mais qui, en même temps, ont de la difficulté à concilier leurs deux mondes: professionnel et personnel.»

Jay Dodge et sa collègue Sherry Yoon ont mené trois longues entrevues (filmées) en 2008 avec la Canado-Irakienne Farah Nosh et l'Américain Michael Kamber, tous deux collaborateurs au magazine Time et au New York Times, mais aussi avec Tim Hetherington, correspondant anglais de plusieurs magazines, dont le Vanity Fair, mort en Libye le 20 avril dernier, à qui les créateurs ont décidé de dédier le spectacle présenté au FTA.

«Ces photographes n'étaient pas habitués à se faire poser des questions aussi intimes sur ce qu'ils vivaient, explique Jay Dodge, lors d'une conversation téléphonique de Vancouver. Une fois la confiance établie, cela a donné lieu à des entretiens extraordinaires. Et puis, nous avons eu accès à des centaines de leurs photographies.»

Rentrer chez soi

Le dénominateur commun des trois photographes? Leurs difficultés à rentrer chez eux. À vivre une vie «normale». L'un d'entre eux a même acheté un terrain de quatre acres, en Colombie-Britannique, où il passe ses vacances, raconte Jay Dodge. Dans une jolie maisonnette, croyez-vous? Même pas! À l'extérieur, à même le sol, vierge de toute construction.

C'est bien là un des nombreux paradoxes soulevés par les créateurs: pour continuer de vivre sans ce décalage destructeur, ces photographes (on pourrait parler aussi des journalistes) n'ont qu'une solution: retourner dans ces pays éprouvés. Paradoxalement, plus ils s'y rendent, plus ils se sentent impuissants, ou alors plus ils deviennent eux-mêmes insensibles. Ce qui nous ramène à la case départ.

C'est d'ailleurs cette même réflexion qui est à l'origine de La porte du non-retour, de Philippe Ducros, qui nous propose (à la maison de la culture Frontenac) un parcours photographique commenté de ses voyages au Togo et en République démocratique du Congo. Pourquoi je fais ces voyages extrêmes? se demande-t-il. Pourquoi je me sens responsable de ce qui s'y passe? Et qu'est-ce que mon intérêt pour ce pays va changer?

Allez dire après que les artistes sont apolitiques!

Toujours est-il que Photog met en scène un photographe, Thomas Smith, qui doit rentrer d'Irak, où il se trouve, parce qu'il se fait évincer de son appartement. Jay Dodge et Sherry Yoon se sont amusés à superposer les deux réalités: celle du quotidien de l'homme chez lui, à la maison, et celle qu'il vit en Irak, avec la projection de photographies à l'appui.

Comment ressort-on d'un projet aussi intense que celui-là? «C'est parfois difficile, admet Jay Dodge, parce que nous sommes, nous aussi, indirectement, témoins de ce qui se passe dans ces pays maintenant. Je pense que ç'a changé le regard qu'on porte sur notre travail. Sur la pertinence et la valeur réelle des projets que nous menons.»

Photog, du 28 au 30 mai à la Cinquième Salle de la PdA; La porte du non-retour, jusqu'au 11 juin à la maison de la culture Frontenac.