Avec ses lunettes rondes et sa casquette vissée sur la tête, Jason Polan affiche le look d'un jeune homme ordinaire, comme il s'en trouve treize à la douzaine. En face du Musée d'art moderne (MoMA) de New York, où nous lui avions donné rendez-vous, il se fondait dans la foule anonyme. D'ailleurs, si vous croisez Jason au hasard d'une balade dans les rues de Manhattan, vous ne le remarquerez sans doute pas. Mais, lui vous aura peut-être repéré...

Si Jason Polan a l'air d'un gars bien ordinaire, le projet qu'il a entrepris est loin de l'être. L'illustrateur de 28 ans s'est fixé l'objectif... de dessiner tous les New-Yorkais. Petite donnée non négligeable: on en recense au bas mot 8 millions!

Un projet interactif

«J'ai toujours voulu monter un projet en interaction avec le public», explique l'artiste originaire du Michigan. «J'ai déménagé à New York il y a sept ans parce que c'est l'endroit rêvé pour ça. Les New-Yorkais adorent les idées nouvelles, sont excités par les projets novateurs.» C'est ainsi qu'en mars 2008 est né son ambitieux «Every Person in New York».

Chaque jour, entre deux contrats pour le New York Times et le magazine Esquire (dans lequel il illustre les pages Opinions), Jason attrape sa plume et son calepin et se précipite dans un endroit public. À la gare Centrale, au bureau de poste ou sur le coin d'une rue, il trace le portrait des New-Yorkais qui croisent son chemin.

«Parfois, quelqu'un va attirer mon attention en raison de sa coupe de cheveux, son manteau ou la façon dont il bouge... Mais la plupart du temps, je choisis mes modèles complètement au hasard, dit-il. Si une personne réalise que je la dessine et que cela l'indispose, je cesse immédiatement. Je ne veux agresser personne.»

En vitesse et au naturel

Il faut à Jason entre dix secondes et deux minutes pour faire un croquis. Jamais il ne demande à un passant de s'immobiliser pour lui faciliter la tâche. «Cela ne fait pas naturel», explique l'artiste en quête d'authenticité. «J'adore peindre les visiteurs dans un musée parce qu'ils se déplacent lentement et prêtent attention aux tableaux sur le mur... pas à moi. Généralement, ils ne me voient même pas!»

Jason peut parfois croquer deux personnes dans une journée; parfois des centaines. Une fois à la maison, il met ses dessins en ligne sur son blogue (everypersoninnewyork.blogspot.com). «Femme en train de jouer de l'accordéon dans le métro à la Place Rockefeller», «Homme attendant quelqu'un en face du MoMA. Il y a une rose dans son journal»... Leurs titres reflètent la quotidienneté de la vie new-yorkaise.

Cette entreprise inusitée a amené Jason Polan à faire voyager ses croquis ailleurs aux États-Unis. Une boutique de curiosités de San Fransisco exposera ses oeuvres au mois d'avril. Le marchand de jeans Levi's lui en a acheté plusieurs pour décorer les murs de ses magasins de Boston. Et depuis que le projet s'est ébruité sur le web, des étrangers planifiant un voyage dans la Grosse Pomme prennent rendez-vous avec lui pour qu'il trace leur portrait.

Le projet d'une vie

«Bien sûr, ce sera impossible de peindre tous les New-Yorkais», admet l'illustrateur. Combien en a-t-il dessiné jusqu'à maintenant? «Plus de 140 000, dégaine-t-il.C'est le projet d'une vie. Je vais le poursuivre tant et aussi longtemps que je vivrai, à moins, bien sûr, que j'aie à déménager dans une autre ville. Ma vision de l'art est assez simple. J'essaie de faire des choses que les gens apprécient.»

Une chose est sûre: «Every Person in New York» suscite la curiosité... et un brin d'admiration!