Jo-Ann Kane, la conservatrice de la Banque Nationale, a de la suite dans les idées. Sa maîtrise en muséologie à l'UQAM portait sur l'historique et la gestion des collections d'entreprise au Québec et allait très vite lui ouvrir des portes. D'abord à Hydro-Québec, en 1997, alors qu'elle devenait sa première conservatrice à temps plein.

«Ce qui m'intéressait avant tout, c'était l'idée d'amener l'art dans un milieu corporatif et d'obliger les gens à entrer en contact avec les oeuvres. Les gens choisissent d'aller voir des oeuvres au musée. Mais les initier à l'art sur leur lieu de travail demeure pour moi le plus beau défi de tous», confie cette Québécoise d'origine irlandaise qui fait 10 ans de moins que ses 39 ans.

Jo-Ann Kane a été recrutée par la Banque Nationale en 2002 et a pris les commandes de la plus grosse collection d'entreprise au Canada. Avec ses 7000 oeuvres datant de 1895 à nos jours, et sa politique d'acquisition qui remonte au début des années 70, la collection de la Banque Nationale fait l'envie de bien des collectionneurs.

«La nudité est notre seule limite. Pour le reste, notre collection n'est pas frileuse», affirme Jo-Ann Kane en souriant. Pour preuve, elle cite cette photo provocante de Ken Lum qui montre le visage en colère d'un raciste blanc sous l'inscription «Retourne donc d'où tu viens!» La photo est exposée dans un centre de formation de la Banque Nationale afin d'alimenter la discussion sur la diversité culturelle.

La dame à la corde d'Irene F. Whittome, une oeuvre détonante, constituée de la photo énigmatique d'une femme d'un autre âge, d'une corde et de deux petits sacs de sable, encaissés dans un boîtier en plexiglas, a été exposée dans le hall du siège social puis retirée parce que son côté artisanal et faussement broche à foin choquait les employés. Aujourd'hui, elle vit au quatrième étage de la BN entre un magnifique et troublant crash d'avion à Irkoutsk peint par Marc Séguin, un rideau de tuyaux sur un socle de verre du sculpteur Charles Daudelin et un immense tigre bigarré qui semble jaillir du tableau de Sylvain Bouthillette.

Même si elle affirme avoir un plus petit budget que ses camarades, Jo-Ann Kane se prive rarement de collectionner plusieurs oeuvres d'un même artiste. «À la Banque Nationale, quand on collectionne, on collectionne en grand», dit-elle en citant les noms de Valérie Blass, Serge Lemoyne, Charles Gagnon, Marc Séguin, Pierre Gauvreau et Jean Paul Riopelle dont les oeuvres forment parfois des collections à l'intérieur de la collection.

Quant aux absents, ils s'appellent Corno, Tex Lecor ou n'importe quel artiste jugé trop commercial. Hier comme aujourd'hui, Jo-Ann Kane demeure convaincue qu'amener des oeuvres dans le quotidien des gens améliore leur qualité de vie et les rend plus heureux et souriants au travail. Autant dire qu'elle en est le meilleur exemple.