Vous entrez dans une salle sombre d'un musée. Vous vous approchez d'un écran lumineux suspendu au milieu de la salle, projetant des images d'architecture. Les images bougent et le son change au rythme de vos mouvements. Vous apparaissez sur l'écran. Les images se désintègrent et se recomposent. Bienvenue dans le monde réel et virtuel deKora Van den Bulcke et Thomas Soetens.

Les deux artistes montréalais d'origine belge vivent de grands moments ces jours-ci: leur oeuvre interactive, Realtime Unreal (Temps réel irréel), est l'attraction marquante de la réouverture du Museum of the Moving Image, à New York.

Le MOMI, inauguré en 1988 dans Queens, est un musée consacré au cinéma, à la télévision et au multimédia. Pour sa réouverture, à la mi-janvier, après un agrandissement et une restauration de 67 millions, la directrice du musée, Rochelle Slovin, a commandé Realtime Unreal dans le cadre de Real Virtuality, une exposition Art et Technologie présentée jusqu'au 12 juin.

L'oeuvre encensée par le New York Times a été créée à Montréal par le collectif Workspace Unlimited, comprenant les programmeurs Matthew McChesney et Patrick Bergeron et deux Flamands de 38 ans, le peintre et artiste visuel Thomas Soetens et l'architecte Kora Van den Bulcke.

Depuis 10 ans, ils créent des interfaces entre réel et virtuel. Ils ont déjà présenté des installations immersives et des performances sur écran panoramique en Corée, en Espagne, à la Société des arts technologiques (SAT) de Montréal et à l'Experimental Media and Performance Art Center de New York.

«Le producteur exécutif du MOMI, Carl Goodman, a suivi notre travail pendant six ans, explique Thomas Soetens, à La Presse. Finalement, il nous a demandé de créer une oeuvre qui ferait référence aux nouveaux espaces du musée.»

Realtime Unreal est une oeuvre interactive qui permet au visiteur d'être présent plusieurs fois en plusieurs endroits en même temps, et de créer une musique unique grâce à ses déplacements à l'intérieur d'une zone.

L'écran de 4,32 m x 2,70 m est «alimenté» par des projecteurs qui combinent le réel à des images prises dans les nouvelles salles du musée. Une caméra au plafond repère la position du visiteur. Quand il s'approche de l'écran, le «système» sent sa présence et ce qu'on voit à l'écran se transforme en même temps que ses mouvements. S'il reste immobile, l'image de l'écran se fige.

«Notre cerveau est habitué à voir du 3D dans du 2D (écran de télé), mais pas du 2D dans du 3D, dit Thomas. Il ne comprend pas que c'est la caméra virtuelle qui bouge. Le visiteur imagine des observations qui n'existent pas.»

Le maire de New York

Le jour du vernissage, le maire de New York, Michael Bloomberg, filmé dans ce projet réel virtuel, est apparu «dans l'oeuvre» tandis qu'il était au micro.

Aboutissement de plusieurs années de travail, Realtime Unreal doit sa naissance à l'informatique, la photographie, la vidéo et l'inventivité de deux créateurs européens venus à Montréal pour profiter de ce qu'offre la métropole dans le domaine de la création sur ordinateur.

«Il y a tellement de compagnies dans ce domaine à Montréal, notamment dans les jeux vidéo, que c'est naturel ici d'agréger des technologies pas toujours faites pour travailler ensemble. On a fait beaucoup de shows en Europe, mais c'est en Amérique que l'attention sur notre travail est la plus forte.»

Realtime Unreal a coûté très cher. Le MOMI a donné 100 000 $. Les projecteurs ultramodernes ont été fournis par la firme belge Barco, l'écran à deux faces par Stewart Filmscreen. Les entreprises et le milieu de l'audiovisuel ne renâclent pas à aider les deux artistes, car Kora et Thomas travaillent pour l'avenir de la projection d'images.

Ils ont d'ailleurs créé Immersive Design Studio, un bureau d'architectes virtuels qui trouve des applications à leurs trouvailles. Prudential Real Estate leur a demandé de moderniser le concept des visites virtuelles des maisons.

«Les artistes des nouveaux médias font l'interface entre commercial et artistique, explique Thomas Soetens. On ne veut pas vendre nos oeuvres et être dépendants des ventes pour en créer d'autres.» «Et le privé demande des projets uniques, donc très intéressants», ajoute Kora Van den Bulcke.

Les deux artistes présenteront leur travail au Musée d'art contemporain l'automne prochain. En attendant, pour avoir un aperçu de Realtime Unreal, on peut voir une vidéo à www.workspace-unlimited.org ou, encore mieux, aller vivre l'expérience directement au MOMI, à New York.