De la belle visite rare à Montréal en ce moment: les amateurs d'art africain seront ravis d'apprendre que, pour la première fois au Canada, la galerie Pangée présente actuellement Kinshasa Pop, exposition sur 35 ans de peinture contemporaine figurative en provenance d'artistes de la République démocratique du Congo.

Il s'agit d'une douzaine de tableaux (vendus de 2500$ à 27 500$) de huit peintres de Kinshasa qui ont marqué la peinture africaine contemporaine et qui permettent de nous immerger dans l'univers d'un art africain non folklorique, postcolonial et le plus souvent très engagé socialement.

Il n'y a qu'à penser à la toile Zoro de l'autodidacte Moke (Monsengwo Kejwanfi, 1950-2001), réalisée en 1983, qui illustre la violence faite aux femmes, thème alors peu répandu dans la peinture de ce continent. «Moke s'est approprié cette tradition coloniale de dresser des portraits et l'a adaptée à l'africaine, avec des thèmes sociaux, dit Pierre Laurent, commissaire de l'exposition. C'était le premier à le faire.»

Critique sociale

Cette oeuvre est une des plus sombres de l'exposition, avec Zeka Bar. Toutes les autres, notamment sa toile Scène de rue (1975), utilisent beaucoup de couleurs pour critiquer la dictature, les moeurs légères ou la passivité des élites.

Dictateur, peinte par Monsengo Shula en 2009, montre que cette volonté d'illustrer l'inadmissible ne s'est pas démentie un quart de siècle plus tard. Sans noircir le portrait, Monsengo dénonce ces régimes de bananes de manière cinglante et avec une pointe d'humour: la scène du dictateur avec ses courtisanes, son champagne et son argent volé au peuple est criante de réalisme.

Une des toiles les plus parlantes de l'exposition s'intitule Attendre jusque quand?. Elle est l'oeuvre de Chéri Chérin, un des membres importants du groupe de Kinshasa. Elle représente un autobus arrêté. Les passagers regardent à l'extérieur, impassibles. Chéri Chérin s'est peint lui-même à côté de l'autobus, les bras ouverts en signe de découragement. «Avec cette peinture, Chérin s'adresse aux politiciens africains, dit Pierre Laurent. Regardez dans le tableau, le conducteur de l'autobus est endormi. Il s'agit d'une critique de l'Afrique passive.»

Avec Le goût du risque, des hommes sont allongés près de masseuses pimpantes. Le jeune peintre Mika (30 ans) représente la dernière génération de l'école de Kinshasa. Peintre social et moraliste, il évoque le drame du sida qui ravage l'Afrique. Il récidive avec La convoitise, où des hommes sont assis autour d'une table près d'une femme dénudée. «Dans sa critique sociale, Mika est moins humoristique et plus violent que ses prédécesseurs, dit Pierre Laurent. Avec ses peintures fluo, il critique le côté bling-bling. Il est moins nuancé que Chéri Samba.»

Né en 1956, Chéri Samba a bonne réputation à l'étranger. On peut trouver ses oeuvres au Centre Georges Pompidou, à Paris, et au Museum of Modern Art de New York. La galerie Pangée expose une de ses toiles sur la vie nocturne parisienne, La place St-Denis à Paris (1984), qui comprend, comme presque toutes ses peintures, un texte en français soulignant le message du tableau. On peut y lire: «Les prostituées se sont bien organisées à Paris.»

Très grande oeuvre de 3,50 m sur 1,44 m, Le voyage du couple (2007), du peintre-pasteur Pierre Bodo (57 ans), est d'une tout autre nature. Un homme et une femme sont représentés dans une forêt de résineux. L'homme, chaussé de bananes ou de feuilles, essaie d'entrer dans une auto issue d'un croisement entre une volaille et une autruche! Cet univers fantastique et coloré est une critique des «sapeurs», selon Pierre Laurent, ces dandys africains qui dépensent tout leur argent pour s'habiller chic à l'européenne.

Kinshasa Pop Galerie Pangée (40, rue Saint-Paul Ouest), du 28 au 31 décembre 2010 et du 4 au 31 janvier 2011, de 10h à 18h.

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