Des années noires aux années de gloire, le grand quartier ouvrier de Montréal a connu toutes les fortunes.

Dans sa jeunesse, Arthur Sicard descendait au marché Maisonneuve pour vendre les produits de la ferme laitière de son père, à Saint-Léonard. Même l'hiver quand les chemins étaient mauvais...

Pendant des années, Arthur Sicard (1876-1946) jongla avec l'idée de construire une machine qui soufflerait la neige, comme la moissonneuse-batteuse le faisait avec le grain et la paille. En 1924, la première souffleuse à neige commerciale sortait du garage d'Arthur Sicard, rue Bennett.

Cette grande invention montréalaise - très appréciée ces jours-ci - revit en photos d'époque dans le deuxième volet de l'exposition Hochelaga-Maisonneuve en trois temps, présentée au Château Dufresne. «Nous n'avions pas l'espace pour mettre à profit tout notre matériel en une seule exposition», explique Réjean Charbonneau, directeur de l'Atelier d'histoire Hochelaga-Maisonneuve qui est en train de s'installer à demeure dans l'ancienne résidence des frères Dufresne.

Au début du XXe siècle, Oscar Dufresne, fabricant de chaussures, et son frère Marius, diplômé de Polytechnique, comptaient parmi les figures de proue de la nouvelle bourgeoisie canadienne-française qui voulait faire de Maisonneuve une cité-jardin industrielle plus grande que Montréal, sa voisine à l'esprit britannique.

Ils réussirent à moitié... La Cité de Maisonneuve, où avait fleuri le mouvement «City Beautiful», fut annexée à Montréal en 1918 mais resta pendant longtemps l'un des principaux foyers industriels du Québec. «Saint-Henri était né avec la première vague de l'industrialisation, souligne Réjean Charbonneau. À partir de 1875, Hochelaga-Maisonneuve a grandi avec la deuxième vague, marquée par la mécanisation.»

Les chaînes tournent à fond à la Dominion Textile, chez Johnson&Johnson, aux chaussures La Parisette et à la biscuiterie Viau qui côtoient des industries lourdes comme le constructeur naval Canadian Vickers et les usines de construction ferroviaire Angus, construites en 1903, à la fine pointe de la technologie de l'époque, sur la rue Rachel, au nord-ouest du secteur («HoMa» est délimité au sud par la rue Notre-Dame et le fleuve, par la rue Moreau à l'ouest et Viau à l'est).

Sortir «en ville»

Pour aller «en ville», les gens prennent les «p'tits chars» de la rue Sainte-Catherine ou, les soirs de grande sortie, un taxi Boisjoly, première flotte de taxis montréalaise (1918), installée d'abord au 2069 de Bourbonnière. Gros Buick! On descend des campagnes par centaines pour travailler dans les shops: Maisonneuve compte 60 000 habitants en 1921. Puis arrive la crise... Le quartier industriel est durement touché et les femmes font des miracles d'ingéniosité, avec les vieux vêtements, entre autres. La moitié des travailleurs gagnent moins de 850$ par année et les gouvernements ont recours à toutes sortes de programmes pour combattre le chômage: 2000 hommes seront embauchés pour la construction du Jardin botanique en 1931.

Conditions de travail

L'expo montre bien l'évolution des conditions de travail: premier salaire minimum en 1937 (entre 15 et 25 cents de l'heure); semaine de 48 heures (soit 6 jours de 8 heures) en 1938; institution de l'assurance chômage (fédérale) en 1940. Au début de la Deuxième Guerre, le salaire industriel moyen est de 21$ par semaine alors que des milliers de femmes commencent à travailler dans les usines.

En plus des plus grosses locomotives de l'Empire britannique - dont la seule vidéo de l'expo nous montre la fabrication -, les Shops Angus (10 000 travailleurs) fabriquent des tanks pour l'Union soviétique. À la fin de la guerre, l'ouvrier de la rue Adam gagne 45$ par semaine et peut se payer des sorties au théâtre Granada ou à l'Orléans.

Aujourd'hui, une sortie au Château Dufresne nous fait revivre la vie du quartier à cette grande époque, pas si lointaine, où Hochelaga-Maisonneuve était le moteur de Montréal. Et dont il reste au moins les souffleuses Sicard...

Des années folles à l'après-guerre: 1918-1950, deuxième volet de l'exposition Hochelaga-Maisonneuve en trois temps, présentée jusqu'au 24 avril 2011 au Musée du Château Dufresne, 2929, avenue Jeanne-d'Arc. Pour info: 514 259-9201, www.chateaudufresne.com.