À l'Écomusée du fier monde, l'exposition Run de lait nous fait revivre l'âge d'or d'un ancien métier urbain.

Debout à 4 h du matin, ils attelaient à la noirceur, allaient charger à la laiterie et commençaient leur «run» aux premières lueurs du jour. Deux, trois cents clients plus tard, ils revenaient décharger leurs «vides», dételaient et soignaient Ti-Noir avant de faire leurs comptes et de rentrer à la maison. C'était leur métier, leur vie de laitier.

Ce métier-là n'existe plus, mais on le (re)découvrira avec plaisir dans l'exposition Run de lait, présentée à l'Écomusée du fier monde qui a pour mission de faire connaître le Montréal industriel et ouvrier d'hier et d'aujourd'hui.

Le laitier de cette époque révolue était le détaillant de la chaîne industrielle du lait qui commençait à la ferme, se continuait à la laiterie pour le traitement sanitaire et l'embouteillage pour finir sur le pas des portes des maisons, riches ou pauvres.

«L'industrie laitière telle qu'on la connaît aujourd'hui est née vers 1925 avec la pasteurisation», explique l'historien Éric Giroux, conservateur de l'exposition Run de lait, montée à partir d'une recherche de Joanne Burgess de l'UQAM, spécialiste de l'histoire économique et industrielle de Montréal. À partir des mêmes travaux de Mme Burgess, l'Écomusée avait présenté en 2002 l'expo Une pinte d'histoire, relatant le parcours du lait comme enjeu de santé publique.

La pinte de lait, qui a vu grandir les baby-boomers et les deux générations précédentes, était un contenant de verre (de 40 onces ou 1,14 litre) utilisé à Montréal à partir des années 1890. La pinte common sense (bon sens) avait un goulot étroit où on mettait un bouchon de carton jetable. Deux chopines et quatre demiards à la pinte, ancêtre de la «crémette» à café, boîtes de bois pour le beurre vendu à la «livre»: le contenu de l'expo regorge de contenants historiques dont le fameux bidon de métal dans lequel le lait voyageait de la ferme à la laiterie où il devait passer le test du «senteux», inspecteur sanitaire au nez fin et sévère.

En 1926, Montréal a imposé la pasteurisation du lait, opération qui consiste à chauffer et réfrigérer rapidement le lait pour en prolonger la conservation: cette mesure a provoqué une restructuration de l'industrie. Les petits laitiers ne pouvant se payer la machinerie nécessaire se sont fait acheter par les grosses laiteries ou se sont regroupés en coopératives comme la Ferme St-Laurent (qui passera elle-même aux mains du géant Purdel en 1986).

«Le laitier 'tu passé?» Non mais il s'en vient, vêtu de sa vareuse et de son képi aux couleurs de sa laiterie: Poupart, Garanteed, Foti, J.J. Joubert, qui a longtemps eu pignon sur la rue St-André. Ti-Noir aussi a une couverture au nom de la laiterie; créature d'habitude parfaite pour la run de lait, le cheval connaissait toutes «ses» maisons sinon leurs adresses. Le camion a commencé à prendre la place après la Deuxième Guerre et, peu après 1960, le dernier «joual de laitier» s'était retiré à la campagne avec les vaches. «Vous êtes ben, vous autres...»

Que reste-t-il de la run de lait? Cette belle expo, une expression pour décrire un voyage fastidieux avec des arrêts nombreux, quelques pintes vides sur les tablettes du brocanteur et le souvenir d'un temps où l'on pouvait laisser sans crainte 57 cents sur le pas de la porte à l'heure du laitier.

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RUN DE LAIT, à l'Écomusée du fier monde, jusqu'au 6 mars 2011.