C'est un peu David contre Goliath. Le musée Marmottan, à Paris, qui a refusé de se laisser dépouiller de ses Monet pour la grande rétrospective actuellement en cours au Grand Palais, ouvre jeudi sa propre exposition, présentant la centaine de toiles du maître qu'il détient dans ses collections, dont la célèbre Impression, Soleil levant qui donna son nom au mouvement impressionniste.

Marmottan, «c'est le seul musée Monet au monde», rappelle Jacques Taddei, le directeur de l'établissement situé dans le XVIe arrondissement de Paris.

Créé en 1934 dans un ancien hôtel particulier, le musée qui appartient à l'Académie des Beaux-Arts a reçu en 1957 Impression, Soleil levant de la fille d'un médecin qui avait été ami avec l'artiste.

Cette vue du Havre, peinte en 1872, avait été exposée deux ans plus tard dans une galerie parisienne, aux côtés de tableaux de Renoir, Sisley et Pissarro, entre autres. Un journaliste avait tourné cette manifestation en dérision, la baptisant Exposition des impressionnistes.

C'est peut-être pour qu'elles soient proches de cette toile si emblématique que Michel Monet, le fils du peintre, a légué en 1966 au musée toutes les oeuvres qu'il tenait de son père - à l'exception de 81 tableaux qu'il avait vendus.

C'est ainsi que Marmottan s'enorgueillit de conserver le plus grand nombre de Monet au monde (dont 93 toiles, des dessins et des pastels). En outre, comme le peintre gardait au moins une oeuvre de chaque étape de sa vie, il émane de cette collection un charme particulier, une sorte d'intimité avec l'artiste.

Lorsque le musée d'Orsay a commencé à monter la grande rétrospective Monet (au Grand Palais du 22 septembre 2010 au 24 janvier 2011), il a demandé à Marmottan de lui prêter 17 toiles, rapporte Jacques Taddei.

«C'était vider Marmottan de ses chefs-d'oeuvre», résume la commissaire Noémie Goldman. La requête portait notamment sur Impression, Soleil levant mais aussi sur Le Pont de l'Europe, Gare Saint-Lazare (1877), où les voies sont envahies par les fumées blanches des locomotives, et sur Vétheuil, dans le brouillard (1879), où le village des bords de Seine est figé dans une atmosphère de givre irréelle.

«Est-ce que vous imaginez le musée Marmottan, n'ayant plus ses oeuvres, fermer pendant quatre mois?», demande Jacques Taddei. Il reproche en outre au président du musée d'Orsay d'avoir insulté Marmottan: «Il nous a traités de petit musée de province!»

Faute d'entente sur les prêts demandés, le projet d'un billet groupé est tombé à l'eau. Cela aurait permis de visiter l'exposition de Marmottan et celle du Grand Palais, où sont rassemblés des tableaux venus exceptionnellement du monde entier, mais aussi l'Orangerie d'où ne peuvent bouger les gigantesques Nymphéas. Ces deux derniers sites, qui dépendent l'un comme l'autre de la Réunion des musées nationaux (RMN), proposent, eux, un billet jumelé.

Il serait toutefois dommage de ne pas aller aussi à Marmottan pour voir les toiles qu'il a si jalousement gardées et qui couvrent toute la carrière de Monet. On voyage d'une nature italienne ensoleillée aux couleurs vives d'un champ de tulipes hollandaises puis au pastel des neiges norvégiennes. La Barque (1890), posée sur des eaux peuplées d'herbes ondoyantes, préfigure les Nymphéas. L'exposition présente nombre de ces «paysages d'eau et de reflets» que l'artiste a peints à Giverny de 1897 à sa mort. Les nénuphars deviennent de moins en moins distincts; la surface de l'étang occupe toute la toile; l'horizon disparaît; le ciel n'est présent que par son reflet dans l'eau. Monet ouvre la voie de l'abstraction.