On connaissait le compositeur, personnage mythique de la musique contemporaine. On connaissait moins l'ingénieur-architecte, élevé à l'école de Le Corbusier. Pourtant, impossible de comprendre Xenakis sans tenir compte de l'un et de l'autre. Car son oeuvre est la synthèse exacte de ces deux univers.

Présentée jusqu'au 17 octobre au Centre canadien d'architecture, l'exposition Iannis Xenakis, compositeur, architecte, visionnaire, résume assez bien ce double parcours. Images à l'appui, on y explique la démarche théorique et artistique du compositeur, qui envisageait la création musicale comme des projets d'architecture - et vice versa.

 

«Xenakis était quelqu'un de très cloisonné, explique la commissaire Sharon Kanach. Mais en faisant l'inventaire de ses archives, j'ai constaté que 10% de ses esquisses d'architecture avaient été mélangées à ses esquisses musicales. Comme quoi il y avait une correspondance innée entre les deux. Contrairement à la plupart des compositeurs, qui écrivent de façon linéaire, il abordait ses oeuvres dans leur globalité. Un peu comme un architecte, qui imagine le bâtiment avant le détail.»

La rétrospective compte au total plus d'une soixantaine de documents, datant de 1953 à 1984.

Quelques photos rappellent les divers projets architecturaux du compositeur, incluant le futuriste pavillon Philips, construit pour l'exposition universelle de Bruxelles en 1958, alors que Xenakis travaillait pour le compte de Le Corbusier. Il y a aussi des carnets de notes, des graphiques, des croquis. Mais le clou de l'expo, ce sont ces étonnantes partitions musicales, qui ressemblent moins à de la musique qu'à des mathématiques avancées. Chiffres, annotations dignes d'Albert Einstein, formes géométriques inusitées résultant de théories complexes, graphiques musicaux tracés sur du papier millimétrique... l'abstraction n'est jamais très loin.

Une intelligence au-delà de la moyenne

Pour le commun des mortels, évidemment, rien à comprendre. On entre ici dans le cerveau de Xenakis, une intelligence au-delà de la moyenne. Malgré tout, l'ensemble est d'une implacable cohérence et d'une étonnante beauté, confirmant, si besoin est, la grande sensibilité et l'impressionnante acuité de ce créateur visionnaire. L'iPod, fourni au début de l'exposition, rajoute à l'expérience, avec sa dizaine de pièces musicales illustrant le propos. Du coup, les compositions électroacoustiques de Xenakis prennent un nouveau sens. Plus visuel.

Le principal intéressé eut sans doute apprécié cette approche multimédia, lui qui, de 1967 à 1978, fut obsédé par les «polytopes», pièces pluridisciplinaires de grande envergure, où musique, lumière et architecture se donnaient rendez-vous dans un espace donné. Une partie de l'expo est d'ailleurs consacrée à ces projets plus grandioses, et tout particulièrement à celui qu'il monta pour le pavillon de la France, à Montréal pour l'Expo 67. «Ce fut une création charnière, puisque c'était la première fois qu'il réalisait un polytope, explique Mme Kanach, auteure de quatre livres d'entretiens avec le compositeur. Expo 67 lui a donné l'occasion d'expérimenter son utopie d'un art total.»

Utopique mais éphémère, contrairement à ses compositions, qui continuent d'être jouées sur une base régulière. De fait, Xenakis aurait sûrement été très choqué de revenir sur les lieux du crime. Quarante-trois ans plus tard, son polytope montréalais a été remplacé par un casino...

 

Qui était Xenakis?Grec naturalisé français, contemporain de Stockhausen, Boulez et John Cage, Iannis Xenakis (1922-2001) a marqué l'histoire de la musique contemporaine, par ses oeuvres électroacoustiques innovatrices et ses réflexions théoriques sur l'art de la composition. Avec la pièce Metastasis, créée en 1955, il présente sa première oeuvre entièrement construite selon des procédés mathématiques et impose définitivement sa signature. «On peut dire qu'il a radicalement changé le paysage musical ambiant des années 50», résume Sharon Kanach, commissaire de l'expo présentée au CCA. Jusqu'à la fin, Xenakis restera un monstre de la musique contemporaine, avec ses projets musicaux ultracomplexes reposant «sur des distributions de probabilités et des techniques stochastiques» lui permettant de «créer des masses de sons, des permutations linéaires et du pointillisme sonore» (dixit le CCA). Sa dernière oeuvre, Omega, date de 1997. Il est mort en 2001, à l'âge de 79 ans.

Iannis Xenakis, compositeur, architecte, visionnaire, au Centre canadien d'architecture jusqu'au 17 octobre. www.cca.qc.ca 

Photo Adelmann, collection de Françoise Xenakis

Iannis Xenakis dans son atelier, à Paris, vers le début des années 1960.