Avant de se lancer dans le verre, Tiffany s'est passionné pour la peinture orientaliste. Aux antipodes de l'avant-garde, ce genre se cantonnait dans l'académisme. Plus tard, ses grands vitraux, avec lesquels il a repoussé les limites de l'art verrier, avaient des sujets religieux conventionnels, comme le Bon pasteur qui sera exposé au Musée des beaux-arts.

Mais derrière ce respect des conventions se profile l'abstraction, selon la commissaire Rosalind Pepall. «Prenez le verre confetti qui permet de donner la texture de l'arbre dans le Bon pasteur. C'est un peu comme Jackson Pollock. C'est totalement radical pour le début du 20e siècle. Et d'une manière générale, son utilisation des couleurs et des multiples couches pour donner une impression de profondeur, c'est presque de l'abstraction.»

Normalement, le verre plat était peint. Mais Tiffany travaille le verre à chaud, par exemple pour le plisser et représenter des draperies. «Il fallait parfois trois ou quatre personnes pour le travail d'une même pièce, dit Mme Pepall. Il engageait les meilleurs spécialistes pour mettre en oeuvre sa vision de peintre.»

Ses sources d'inspiration sont multiples. «Il a parfois l'asymétrie et le sens du détail de la céramique japonaise, dit Mme Pepall. J'ai en tête un vase prêté par le MOMA, au col en forme de pétales, où on voit même les pistils à l'intérieur du vase. Il en tenté de recréer la rouille iridescente des vases romains retrouvés par les archéologues. Il était aussi fasciné par les riches couleurs des verres et des tapis islamiques. Il a même fait une copie d'un aspersoir persan du début du XVIIIe siècle. J'ai d'ailleurs inclus dans l'exposition un aspersoir persan de notre collection.»

Ces intérêts ont été attisés par un employé de son père, l'orfèvre Edward C. Moore, qui était également un collectionneur d'antiquités allant de Rome à l'Inde. Mais il a aussi intégré les tendances en vogue en Angleterre quand il y faisait sa formation. C'est un pré-raphaélite de deuxième génération qui a fait plusieurs des dessins des vitraux exposés au musée. « Par exemple, dans l'Ange doré, on voit le menton, les lèvres et les yeux caractéristiques des préraphaélites », observe Mme Pepall.

L'héritage de Tiffany a parfois été controversé. Un débat a fait rage sur l'inventeur du verre opalescent, qui a une teinte laiteuse et était très populaire à la fin du XIXe siècle. «Les documents que nous avons semblent indiquer que l'inventeur a été John LaFarge, le principal concurrent de Tiffany dans les vitraux, plutôt que Tiffany lui-même, dit Mme Pepall. Mais Tiffany a élaboré la technique au point que les vitraux opalescents ont fini par être associés à son nom.»