Le Musée d'art contemporain de Montréal présente les travaux de Francine Savard, Tricia Middleton et Tacita Dean jusqu'au 3 janvier 2010. Trois femmes qui nous font voyager entre ciel et terre.

Belle rentrée au MAC. Trois artistes fort différentes, mais qui partagent une humilité certaine dans leur façon même de travailler et d'entrer en relation avec le spectateur. Leur outil de prédilection, l'installation, sert plusieurs maîtres dans les créations récentes de Francine Savard, de Tricia Middleton et de Tacita Dean: peinture abstraite, sculptures, arts éphémère et filmique.

 

Francine Savard

La peintre montréalaise mérite amplement sa rétrospective de mi-carrière donnant un juste aperçu d'un parcours singulier et fort intéressant au sein de l'art abstrait québécois.

Francine Savard aime les mots. Mieux encore, elle les respecte. «Ils me questionnent et servent d'embrayage. Je ne les cherche pas, mais ils me trouvent. Ils me tracent un chemin que je suis jusqu'au moment où je sens qu'il faut prendre un virage», dit-elle.

Qu'ils soient ceux de Bataille, de Rilke ou de Baudelaire, les mots lui permettent de «s'accrocher à un savoir, en toute humilité, puisque c'est plutôt un étalage d'ignorance», fait-elle en ricanant.

Mais sa quête de langage donne lieu à une telle explosion de formes et de couleurs qu'elle nous soulève. Très évident, son plaisir dans le travail nous rejoint. Les dépôts de peinture deviennent des mappemondes, les notices bibliographiques un tableau monumental et les panneaux de texte invisibles, des vaisseaux spatiaux.

En un magnifique point d'orgue, Francine Savard défie la gravité et l'espace avec sa charte de couleurs superposées au titre jubilatoire, Tu m', un dernier tableau, en référence à Duchamp. Cela ressemble en fait au début d'une phase des plus inspirées qu'on lui souhaite aussi longue que féconde.

Tricia Middleton

Si Francine Savard donne des ailes à l'abstraction et aux visiteurs, Tricia Middleton, de son côté, souhaite les couper aussitôt. Installation éphémère in situ, Dark Souls nous fait visiter les catacombes de la surconsommation et de la contamination, sur et sous terre.

Inspirée par le tout aussi sombre auteur russe Nicolas Gogol, sa pièce se divise en plusieurs recoins lugubres où s'accumulent objets de la vie quotidienne et détritus, quelques plantes, briques, cheveux, poussière figés par des finis plastifiés, sinon scintillants.

Pourtant, la reproduction de la vie est là, juste à côté, dans les images vidéo de la nature ou d'un faux ciel étoilé, derrière des rideaux de fortune ou dans la trame sonore qui fait entendre oiseaux et cours d'eau.

Un tel foisonnement n'étonne pas chez une jeune artiste qui souhaite un peu trop en dire dans sa toute première exposition muséale. On l'excuse d'autant plus que la vraie nature de Tricia Middleton se trouve aussi dans ses cartons-pâtes sympathiques, ainsi que dans les couleurs pastels qu'elle utilise et dans le caractère ludique de l'ensemble de son travail qui semble lui échapper à elle-même.

Comme si une petite fée douée mais timide se cachait dans son château sombre et en émergeait par moments pour nous éclairer avec un imaginaire espiègle.

Tacita Dean

Entre ciel et terre et entre les deux autres artistes présentées au MAC, la Britannique Tacita Dean continue sa quête méditative, voire métaphysique, sur le passage du temps dans ses films.

Elle a filmé cette fois le grand chorégraphe américain Merce Cunningham en fauteuil roulant, vers la fin de sa vie, alors qu'il «interprète» la célèbre pièce «silencieuse» de John Cage, son collaborateur et conjoint disparu en 1992, intitulée 4'33''.

L'émotion est rendue palpable par la pertinente utilisation de pellicule au lieu d'images numériques. L'installation au Musée comporte six projecteurs et six écrans placés à des distances variables qui montrent six exécutions différentes de Cunningham, presque aussi immobiles qu'était muette la musique de Cage.

Comme dans le cas de la musique, c'est toutefois un leurre effacé peu à peu par la présence des spectateurs. Entre projecteur et écran, les ombres des visiteurs deviennent des partenaires de «danse» de Cunningham. Involontaires, d'abord, mais de plus en plus conscientes et consentantes. Magistral!