Le titre: Grandeur nature, Peinture et photographie des paysages américains et canadiens de 1860 à 1918, n'est guère accrocheur. Mais l'exposition est l'une des plus intéressantes des 10 dernières années au Musée des beaux-arts de Montréal. Grâce à son commissaire, le très original Hilliard T. Goldfarb.

Après l'exposition pacifiste consacrée à John Lennon et Yoko Ono, le MBAM prend le virage vert pour présenter Grandeur nature. Non seulement l'exposition propose-t-elle une réflexion sur le sort que l'humain réserve à la nature, mais sa présentation est tout aussi réfléchie. Les designers invités (Atelier Big City), particulièrement ingénieux, ont surtout recours à des matériaux naturels ou recyclés dans leur mise en scène. Le Musée sent le bois.

Grandeur nature rassemble quelque 200 peintures et photographies de paysages des États-Unis et du Canada, depuis la guerre de Sécession, qui a fait 600 000 morts aux États-Unis, jusqu'en 1918, quand a pris fin la Première Guerre mondiale. La période représentée est cruciale pour les deux pays. Elle a vu naître et s'étendre les nations américaine et canadienne. Autrement dit, c'est le début de l'affirmation nationale, plus marquée et plus douloureuse chez les Américains que chez les Canadiens, mais ces derniers voient tout de même naître alors la Confédération.

Les oeuvres de plus de 80 artistes - souvent des tableaux de grande taille pour les peintures - et des photos qui sont à la fois esthétiques et documentaires, sont regroupées sous six thèmes qui font valoir aussi bien l'évolution du concept de nation que l'évolution de l'art. Pour chaque thème, photos et peintures se côtoient, chaque art ayant une influence sur l'autre. Photos en noir et blanc de taille modeste en général et grands tableaux aux couleurs flamboyantes ou aux atmosphères éthérées se complètent, les unes fixant sur pellicule une réalité décolorée, les autres idéalisant cette réalité.

Le premier thème, La nature transcendante, est particulièrement inspirant. C'est un hymne à la nature vierge des grands espaces pas encore touchés par le progrès. Les chutes Niagara, en particulier, ont la cote. Mais aussi les paysages vertigineux des Rocheuses ou des Adirondacks. Les artistes, comme ceux de la Hudson River School, voient dans ces immensités la preuve de l'existence de Dieu et celle de la pertinence de la mission divine confiée aux Américains, la "manifest destiny". Les Canadiens sont plus modestes dans leur affirmation patriotique, mais les oeuvres des uns et des autres se ressemblent. On y retrouve, du côté américain, les Asher Durand et Frederic Church, par exemple. Du côté canadien: Lucius O'Brien ou John Fraser.

Sur le thème Théâtre du mythe et la scène de l'histoire, les oeuvres traitent de la vie amérindienne, en fait de ce qu'il en reste après la quasi-extermination des autochtones. C'est là que se trouvent quelques tableaux d'Emily Carr, réalisés pour conserver l'image des totems des Indiens de la côte Ouest, tableaux qui frappent par leur modernisme dans un ensemble plus conventionnel. C'est là aussi que l'on voit les photos de William Notman sur les communautés amérindiennes. Sans oublier les scènes de Krieghoff.

Viennent ensuite les travaux spectaculaires de L'homme contre la nature, inspirants pour les photographes en particulier qui suivent l'évolution de la construction du chemin de fer traversant le Canada, par exemple, ou celle de ponts en acier, et autres immenses chantiers qui ont permis aux Canadiens et aux Américains de s'étendre d'un océan à l'autre. Après avoir ainsi domestiqué la nature, c'est le temps d'en jouir, autre thème exploité en particulier par les artistes du Québec (La nature domestiquée). On y retrouve J.W. Morrice, Maurice Cullen, Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté, et encore William Notman, aussi photographe des plaisirs bourgeois.

Enfin, nous entrons dans Le paysage urbain, celui des grandes villes industrielles qui empiètent de plus en plus sur les anciens territoires vierges. Photos de rues surpeuplées, de maisons délabrées, de chômeurs, mais aussi tableaux inspirés par les activités portuaires. Puis, dernier thème, un Retour à la nature, mais une nature dépouillée. C'est le temps de la découverte de la peinture pour elle-même. Nous sommes dans la salle des paysages abstraits où les modernes comme Georgia O'Keefe ou David Milne entrent en scène.

Quant au catalogue, il est tout aussi écolo que l'exposition, fait de "fibres post-consommation" et encres végétales. Sa conception graphique est particulièrement originale.

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Grandeur nature, Peinture et photographie des paysages américains et canadiens de 1860 à 1918, au Pavillon Mihal et Renata Hornstein, Musée des beaux-arts de Montréal, jusqu'au 27 septembre.