On est sur la Main, côté est, entre la rue Sainte-Catherine et le boulevard René-Lévesque quand on entend une musique qui éveille des souvenirs: celle de Road Runner. «Beep beep...» Ça sort d'où, ça? De la boutique de cossins inutiles? Du club de films pornos? Aurait-on imaginé un scénario de cul mettant en vedette le vilain coyote et l'oiseau préhistorique qui court plus vite que le temps? Non. Cela sort de la galerie d'art prise entre les deux, galerie aussi étroite que discrète, spécialisée en photographie contemporaine. Entrons!

Road Runners est le titre d'une exposition organisée autour du thème de la route dans l'art contemporain, en particulier l'art conceptuel, mais aussi au cinéma et dans d'autres médias. C'est une exposition non exhaustive, mais très personnelle, qui ressemble à une réflexion, en fait, la réflexion de la commissaire Marie-Josée Jean. On commence le voyage par un extrait de Road Runner (en français Bip Bip et le coyote), cette série populaire de dessins animés de Chuck Jones (entreprise en 1949) où l'on voit le vilain coyote tenter désespérément d'attraper l'oiseau de malheur qui lui échappe toujours. Le coyote renaît toujours de ses cendres pour recommencer la même quête. C'est quasiment métaphysique!

 

Par la suite, l'exposition fait un clin d'oeil par affiche au film de Dennis Hopper, Easy Rider et, sous vitrine, d'autres objets liés à la quête routière sont exposés: une reproduction du manuscrit écrit sur rouleau de On the Road, de Jack Kerouac, ou encore, un vieux numéro de Touring Club, où est montrée la «maison roulante» de l'écrivain Raymond Roussel (1877-1933), qui voulait rouler tout en écrivant et qui devient ici une sorte de précurseur de ces poètes et autres artistes qui prirent la route pour se trouver.

Les autres artistes représentés chez Vox sont plus contemporains, mais une grande place est faite aux artistes conceptuels des années 1970 dont les projets se sont souvent retrouvés sur papier après avoir été réalisés, ou faute de pouvoir être réalisés. Des noms: Rauschenberg, Carl Andre, Daniel Buren, Ian Wallace, Robert Barry, Jeff Wall...

Bill Vazan, par exemple, en 1970, fit le tour de l'île de Montréal dans sa petite voiture et en rapporta une série de photos qui sont ici collées au mur. À la même époque, Chris Burden inventa une voiture à une place, et Peter Gnass prit des photos de ce qu'il voyait dans le rétroviseur de son auto. The Royal Road of the Unconscious, de Simon Morris, est un court métrage où une voiture traverse à toute vitesse ce que l'on croit être un tas de plumes, en réalité des mots découpés dans l'essai de Freud sur les rêves. Une autre vidéo nous montre un homme assis au volant et tenant devant lui une carte routière lui cachant la vue (Jon Sazaki, The Destination and the Journey, 2007). Nous sommes aussi plongés à l'intérieur d'un véhicule qui traverse une tempête de neige. On ne voit que les phares d'un autre véhicule, en face, qui s'avance en zigzaguant à droite, à gauche... Y aura-t-il collision? Le titre donne la réponse: Near Miss, de Kerry Tribe, 2005.

À la Cinémathèque

L'exposition se poursuit à la salle McLaren de la Cinémathèque québécoise où l'on retient surtout le contraste entre deux films projetés sur des murs qui se font face. Celui en trois images de John Massey (en 1982) où l'on assiste en temps réel à une conversation entre deux hommes dans une voiture, le conducteur et un auto-stoppeur qu'il a fait monter, en route vers Toronto. De chaque côté du film central, des images évoquant ce dont ils parlent, notamment des danseuses de bars. En face, le film d'Abbas Kiarostami (l'un des rares non-anglophones de cette exposition). Dans Roads of Kiarostami, le cinéaste et poète iranien nous entraîne dans un paysage dénudé, montagnes blanchies par la neige et traversées de marques laissées par une voiture. Les images se transforment parfois en dessins d'une grande qualité esthétique. «La route, dit-il, exprime le voyage de l'homme sur terre. Il y a des routes sans fin, des routes dangereuses... La route, c'est la vie.»

Road Runners, à la galerie Vox, 1211, boul. Saint-Laurent, jusqu'au 30 mai. À la Cinémathèque québécoise, 335, boul. de Maisonneuve Est, jusqu'au 26 avril. Entrée libre. Info: www.voxphoto.com et www.cinematheque.qc.ca