«Ce soir, franchement, il n'y a plus de crise économique...» ironise Armelle Malvoisin, du Journal des Arts, quelques minutes après la conclusion de la première séance de vente au Grand Palais à Paris: « Il y a eu des enchères incroyables!» Ce qu'on appelait à l'avance «la vente du siècle» a tenu ses promesses au-delà de toutes les estimations: la collection privée d'Yves Saint-Laurent et Yves Bergé a trouvé pour 206 millions d'euros (327 millions $ CA) d'acheteurs dès le premier jour, alors que la vente des 733 lots doit durer jusqu'à mercredi soir. Un record absolu pour une collection privée. Le précédent record avait été atteint en 1997 à New York pour la collection Victor et Sally Ganz: «seulement» 163 millions d'euros.

Tout est superlatif dans cette vente. Des acheteurs privés ou institutionnels, de riches amateurs, des fondés de pouvoir des grands musées du monde se sont arrachés les 1200 places assises. Il y a 400 journalistes accrédités, une centaine de lignes de téléphone installées pour l'occasion. Parmi les vedettes qui se pressaient à cette première séance, on trouvait Bianca Jagger, le vicomte Linley, fils de la princesse Margaret et l'ancien ministre français Roland Dumas, grand amateur d'art.

Quelque 30 000 simples mortels avaient fait la queue quatre ou cinq heures pendant toute la fin de semaine pour voir avant sa dispersion cette collection hors normes constituée sur une période de 50 ans par le grand couturier Yves Saint-Laurent et son ami Pierre Bergé, riche gestionnaire de sa maison.

Éclectique et somptueuse, cette collection était constituée d'oeuvres africaines ou chinoises, de tableaux classiques d'Ingres, Géricault ou Goya, d'oeuvres contemporaines signées Brancusi, Mondrian, Picasso, Duchamp, Calder, Fernand Léger, de nombreuses pièces d'Afrique ou d'Asie, de mobilier Art déco.

Bon républicain, Pierre Bergé a fait don de la toile de Goya au Louvre. En revanche, il a été intraitable concernant deux bronzes chinois du XVIIIe siècle, réclamés par Pékin et provenant à l'origine du pillage du Palais d'été en 1860 par les troupes franco-britanniques. «Ces oeuvres ont été achetées en toute légalité expliquait lundi matin Pierre Bergé, et je les rendrais volontiers à la Chine si celle-ci s'engageait à respecter les droits de l'homme.»

Un tribunal de Paris a rejeté lundi la demande de suspension de la vente des deux bronzes, estimés à plus de 8 millions d'euros, et qui seront bien vendus demain lors de la dernière séance d'enchères. Chez Christie's, on avait prudemment estimé entre 200 et 300 millions d'euros les recettes de cette vente. Les résultats d'hier soir ont dépassé toutes les prévisions. Une sculpture de Brancusi, estimée à un peu plus de 20 millions, s'est enlevée à 29 millions. Un Matisse est parti à 32 millions. Selon les spécialistes, on a enregistré des records de vente pour sept artistes.

Seule fausse note: un tableau cubiste de Picasso, Instruments de musique sur un guéridon, qui était a priori la vedette de cette vente, et qu'on estimait à 25 ou 30 millions d'euros, n'a pas trouvé preneur (la meilleure offre, à 21 millions, étant en-deçà du prix minimum demandé). «Je suis très satisfait de cette première journée, qui a dépassé toutes nos espérances, a dit Pierre Bergé peu après, et en plus j'ai gagné un Picasso...»

Le produit de cette vente, qui se poursuit mardi et mercredi, servira à financer de manière permanente la fondation Yves-Saint-Laurent. Le reste ira à la recherche contre le sida et à des oeuvres caritatives.