Le Musée d'art contemporain présente, du 5 février au 26 avril, la plus importante rétrospective à ce jour du grand peintre montréalais Claude Tousignant. Près d'une centaine d'oeuvres du peintre de 76 ans occuperont six salles du MAC.

Dans l'art contemporain québécois, Claude Tousignant est un archer qui vise longuement et fait preuve de précision, coup après coup. Les cibles ont changé en plus de 50 ans de carrière, mais tous reconnaîtront au maître de l'abstraction sa volonté inaltérable, portée par un idéal tout aussi exigeant: harnacher la couleur pour créer l'effet, faire sentir et ressentir.

 

«L'art est une expérience», disait-il récemment à quelques journalistes et responsables du Musée d'art contemporain qu'il acceptait de recevoir dans son atelier de Saint-Henri, un verre d'excellent Crozes-Hermitage à la main.

L'antre du lion créateur, crinière et barbe blanches le rapprochent davantage du roi paisible que du père Noël bonbon, est un ancien garage de camions qu'il a transformé en grand atelier avec d'essentiels puits de lumière. Une grande part de l'espace sert au rangements des oeuvres, une autre grouille d'un fouillis créatif et une troisième, dénudée, appelle les gestes de l'inspiration.

Contrairement à son collègue à une certaine époque, Guido Molinari, l'artiste de 76 ans, a eu la sagesse, il y a plusieurs années, de décider de ne plus discourir sur son travail. La rétrospective du MAC a nécessité quatre ans de préparatifs. Il y a collaboré pleinement et en est visiblement heureux. Quant aux résultats?

«J'espère que ça va être bon!» laisse-t-il simplement tomber, provoquant un éclat de rire autour de lui. Des rires qui se changent vite en sourires gênés. C'est qu'il est sérieux. Ce diable d'homme s'explique en peu de mots, mais, comme dans sa peinture, avec franchise et clarté. Sans fioritures, ni futilités. Ni plus ni moins.

«Le problème avec la théorie, fait-il en haussant les épaules, c'est qu'il faut l'avoir en partant. Et après, il faut l'expliquer par la peinture.»

Cercle vicieux s'il en est. Même si une partie importante de l'oeuvre explore justement les surfaces circulaires, le peintre a toujours évité les pièges de la redite. Et des clichés. À propos, par exemple, d'un certain mouvement artistique dit «psychédélique».

«Mes couleurs vibrent, mais ne sont pas psychédéliques, tranche-t-il. L'art psychédélique utilisait plusieurs formes. Mes cercles sont plus structurés.»

Questionner la pertinence de l'abstraction dans son cas ne se pose même pas - «c'est un besoin personnel», dit-il - tellement sa quête ne supporte aucun compromis, tellement il est en quête d'absolu.

«La pratique de Tousignant nous emmène encore et toujours en un lieu de pure et complète sensation, unique et distincte, qui ne renvoie à rien d'autre qu'à elle-même, en un mot au sublime», écrit l'ancien directeur du MAC, Marc Mayer, dans le catalogue de l'exposition.

Le travail

Parmi ses pinceaux et ses contenants de peinture, l'artiste s'avère un peu plus prosaïque. Pour lui, c'est un travail. Son oeuvre a occupé toute sa vie active. Contrairement à beaucoup de ses collègues, il n'a pas été enseignant, ni graphiste ou illustrateur.

«J'ai longtemps travaillé 12 heures par jour, avoue-t-il. Maintenant, je ne peux pas en faire autant. Ça tourne plus autour de quatre heures.»

De création, devons-nous ajouter. Il passe tout de même beaucoup de temps en atelier. L'espace est d'ailleurs habité, vivant, vibrant. Les yeux du maître des lieux disent toute l'intensité qui est la sienne, qui le hante et le transporte. Littéralement.

Mais contrairement à ce qu'on pourrait penser d'un tel expérimentateur de la couleur sans équivoque, il ne travaille pas en vase clos. Il s'éparpille pour mieux se concentrer.

«Je ne crois pas à la spécialisation totale, fait-il. Je fais plusieurs choses en même temps, les monochromes et les cercles.»

Sculptures

Il travaille également de plus en plus en trois dimensions. La volonté reste la même: couleurs et lumière, mais en y ajoutant une nouvelle profondeur. Sa série récente des Modulateurs, des acryliques sur aluminium installés tels des paravents spectaculaires, semble ouvrir une nouvelle porte dans sa création, décuplant le potentiel des sensations.

«L'objet sculpture est comme nous, il existe dans l'espace», note l'artiste.

En fait foi son oeuvre la plus récente qui pointe vers de nouvelles et ambitieuses directions. Avec L'oeuvre au noir (2008), Claude Tousignant garde son arc et ses flèches, mais, avec ces quatre structures pyramidales aux couleurs vives, il semble viser désormais les étoiles. Il faudrait peut-être commencer à travailler dès maintenant sur une future rétrospective!

 

Claude Tousignant Chronologie

1932 Naissance à Montréal, dernier d'une famille de sept enfants.

1948 Entre à la School of Art and Design du Musée des beaux-arts de Montréal. Défenseur de l'abstraction, son professeur Gordon Webber aura une grande influence sur lui.

1955 Participe à l'exposition d'ouverture de la galerie L'Actuelle, cofondée par Guido Molinari, la première consacrée à l'art non figuratif au Canada.

1956 Première exposition de l'Association des artistes non figuratifs de Montréal. Il expose aussi à la Parma Gallery de New York.

1959 Exposition Art abstrait à l'École des beaux-arts de Montréal.

1960 Participe au 77e Salon annuel du printemps du Musée des beaux-arts de Montréal.

1962 Obtient le premier prix au Salon de la Jeune Peinture de l'École des beaux-arts de Montréal et participe à l'exposition La Peinture canadienne moderne à Spolète, en Italie.

1963 Expose, en compagnie de Marcel Barbeau, à la Dorothy Cameron Gallery, à Toronto et participe à la 5e Exposition biennale de la peinture canadienne à Londres.

1964 Exposition Color Dynamism, Then and Now, à la East Hampton Gallery, à New York.

1965 Il représente le Canada à la VIIIe Biennale de Sâo Paolo et participe à l'exposition The Responsive Eye au Museum of Modern Art de New York.

1973 Rétrospective Claude Tousignant à la Galerie nationale du Canada, présentée au Musée d'art contemporain de Montréal, à l'Art Gallery of Ontario et au Centre culturel canadien à Paris.

1974 Prix Victor-Martyn-Lynch-Staunton du Conseil des Arts du Canada.

1976 Officier de l'Ordre du Canada.

1980 Exposition intitulée Diptyques au Musée d'art contemporain de Montréal.

1982 Exposition Sculptures au Musée des beaux-arts de Montréal.

1989Prix Paul-Émile-Borduas, la plus haute distinction en arts visuels, décerné par le gouvernement du Québec.

1994 Monochromes, 1978-1993, au Musée du Québec.

2009 Claude Tousignant, une rétrospective au MAC.