Il y a à peine 40 ans, le hockey et les arts visuels vivaient dans deux univers opposés. Aujourd'hui, on assiste plus que jamais à la fusion de ces deux mondes réputés incompatibles. La preuve par trois expos présentées à Montréal...

N'ajustez pas votre appareil. Vous avez bien lu. Trois expositions d'art sur le hockey se tiennent présentement à Montréal: Aréna au Musée Juste pour rire, Guerre froide à la galerie Espace et Je le sens, à l'Atelier Punkt.

 

Opportunisme? Peut-être. Avec le CH qui fête son 100e anniversaire et le Match des étoiles qui aura lieu demain soir au Centre Bell, le temps était bien choisi pour créer l'événement autour de notre sport national.

Mais au-delà du prétexte, il y a les oeuvres. Et selon Ray Cronin, commissaire de l'expo Aréna, tous ces artistes ont vraiment quelque chose à dire. «Le hockey n'est qu'un langage pour exprimer autre chose», explique-t-il. «Pour les créateurs, c'est une façon de commenter le monde qui les entoure.»

Pas un travail de fan

Ray Cronin a monté Aréna au printemps dernier, pour le Musée d'art de Nouvelle-Écosse, en marge du Championnat du monde de la Fédération de hockey internationale qui se tenait à Halifax.

Au départ, son projet n'a pas convaincu tout le monde. «Mes collègues disaient que c'était une idée folle. Ils ne pensaient pas que ce serait assez bon, ni assez sérieux, explique M. Cronin. C'est vrai qu'il y a beaucoup d'art commercial sur le hockey. Mais avec cette expo, je voulais vraiment aller dans quelque chose de plus expérimental. C'est pourquoi je me suis tourné vers l'art contemporain.»

Présentée à Montréal en version réduite (24 oeuvres sur les 240 d'origine), Aréna réunit une majorité de créateurs canadiens - principalement anglophones - mais aussi des artistes écossais, belges, suédois, américains et coréens ayant utilisé le hockey comme métaphore, à un moment ou à un autre de leur parcours.

À en juger par la Zamboni grandeur nature qui trône au milieu de l'exposition (Chris Hanson et Hendrika Sonnenberg, la coupe Stanley surplombant une laveuse à chargement frontal (Anything Else Is a Compromise, Greg Forrest) ou la paire de gants «amérindienne» vissée à un mur (What Goes Up Must Come Down, Jason McLean), leur travail n'a effectivement rien d'une affiche au air brush vendue à la boutique souvenir du Centre Bell.

Malgré son côté inévitablement pop et ludique, Aréna revisite la mythologie du hockey sur glace, avec distance et sens critique. Certains en profitent pour dénoncer les aspects mercantiles de notre sport national, d'autres pour s'interroger sur les fondements de l'identité canadienne. Comme le résume M. Cronin: «Ce n'est pas un travail de fan.»

Allégorie du hockey

L'exposition Guerre froide, du Montréalais Andrew Pink, se veut encore plus engagée. Ses 18 toiles combinent l'esthétique des vieilles cartes de joueurs et des affiches de propagande des années 40 et 50, afin de mettre en relation le hockey et le militarisme.

Pour l'artiste, il est clair que le sport participe au conditionnement d'une population et fait accepter la violence comme étant nécessaire à la résolution d'un conflit. «Si le hockey rationalise et rend la violence légitime, je me dis qu'on aura tendance à la légitimer ailleurs», résume Andrew Pink, qui se décrit lui-même comme un anarchiste amateur de hockey.

À l'autre bout du spectre, les illustrations pas-politiques-du-tout de Francis Léveillée, créées pour l'expo collective Je le sens, se contentent d'être une «allégorie sur la gloire, l'énergie et à l'esprit du hockey.» Pas de message, mais un simple clin d'oeil à notre sport national.

D'un thème imposé («Je le sens»), Léveillée a tricoté une dizaine d'images qui «sentent la coupe». Ses oeuvres, pleines d'humour et de références historiques, mélangent le concept du bestiaire et l'esthétique punk. Du masque de Gerry Cheevers aux jambes de Jean Béliveau, en passant par Bernie Parent, Georges Laraque (représenté avec une tête d'ours!) ou la femme de Wayne Gretzky en petite tenue, sa série est un hommage, certes tordu, à ceux «qui ont tout donné» pour l'ultime trophée.

Et maintenant, la question qui tue: faut-il être fan de hockey pour aller voir une expo d'art sur le hockey?

«Ça aide», affirme Francis Léveillée. «Pas vraiment», insiste Ray Cronin. Si les «initiés» risquent d'apprécier davantage, les autres seront peut-être séduits par le message, ou la simple valeur esthétique des oeuvres.

Jusqu'ici en tout cas, l'expo Aréna semble avoir relevé le défi de plaire autant aux amateurs d'art qu'aux gérants d'estrade. «Tout le monde en est sorti gagnant», affirme Cronin.

Chose certaine, voilà bien une question qu'on ne se serait pas posée jadis. Avant que le peintre québécois Serge Lemoyne ne commence sa fameuse série tricolore dans les années 70, le hockey et l'art moderne vivaient en opposition, sur deux planètes très éloignées. Aujourd'hui, les deux mondes fusionnent avec succès.

«C'est bien la preuve que nous avons grandi», conclut Cronin.

Aréna, au Loft du Musée Juste pour rire (2111, boul. Saint-Laurent), jusqu'au 19 avril.

Guerre froide d'Andrew Pink, à la galerie Espace (4844, boul. Saint-Laurent), jusqu'au 27 janvier.

Je le sens, oeuvres de Mélanie Baillairgé, Stéphane Poirier et Francis Léveillée, à l'Atelier Punkt (5333, rue Casgrain, local 205 A), jusqu'au 5 février.