Pardonnez le cliché, mais, vraiment, on n'a pas fini d'entendre parler de Karine Giboulo, une jeune artiste qui crée des univers miniatures complexes et raffinés dans de grandes boîtes vitrées.

À la galerie SAS où Karine Giboulo, 28 ans, présente son travail, on nous remet un texte qu'elle a écrit pour nous guider dans ses installations inspirées d'un voyage en Chine. Là-bas, déguisée en femme d'affaires, elle a pu voir les usines-dortoirs de Shenzhen et visiter l'une d'entre elles, y compris les chambres à coucher des travailleurs.

 

Cette aventure dans «le ventre du dragon» lui a inspiré une réflexion sur la société de consommation, depuis l'usine où l'on fabrique les objets à la chaîne, jour et nuit, jusqu'aux foyers canadiens où on les consomme, nuit et jour. L'usine qu'elle a visitée fabrique des téléphones cellulaires. Les travailleurs, venus de la campagne, vivent sur place.

Cette réflexion, la jeune femme l'exprime dans une série de boîtes à plusieurs étages où elle recrée ou invente des scènes de la vie des travailleurs chinois juxtaposées à d'autres scènes où les consommateurs canadiens sont représentés par des marmottes et des ours. Le résultat est fascinant.

Karine Giboulo est probablement une perfectionniste, un bourreau de travail elle-même. Les centaines de figurines en plasticine mises en scène dans des dortoirs, à la salle de bain, à la cafeteria, dans l'usine même, sont toutes différentes les unes des autres, chacune ayant ses propres caractéristiques.

Rien n'est bâclé, chaque petit objet est finement réalisé, depuis le cendrier plein de mégots jusqu'aux lits superposés et aux couvertures en coton. La profusion des détails est hallucinante. Pour donner un exemple, citons la scène où des travailleurs engraissent des cochons dans un laboratoire au moyen d'une sorte de Vita Gro. On finit par remarquer qu'une travailleuse dans cet ensemble qui en réunit des dizaines, a des oreilles de cochon... Un autre exemple: dans la scène où les membres d'une famille canadienne sont vautrés devant le téléviseur se déroule un film en temps réel.

La jeune artiste a recours à plusieurs médias pour obtenir ce qu'elle désire. Ainsi, les boîtes sont munies de différents systèmes d'éclairage. On y retrouve aussi une quantité considérable de composants électroniques qui forment, entre autres, des montagnes de débris avec lesquels les Chinois sans abri se construisent des maisons. Ces pièces, elle les a obtenues de FCM recyclage. La quête auprès d'entreprises fait partie des activités des artistes.

Il faut souligner aussi que les scènes reconstituées sont un mélange de réalité et d'imaginaire, de constat cruel, mais aussi humoristique, sur la condition humaine. Cet univers fait de petites poupées et d'objets miniatures avec lesquels on raconte des histoires évoque inévitablement celui des enfants. Mais le titre de l'ensemble, All You Can Eat, jette là-dessus un éclairage inquiétant.

«On passe nos vies à travailler pour engraisser notre capital matériel, écrit Karine Giboulo. On remplit nos maisons, nos existences, ça déborde de partout... Des fois je me dis que plus on se remplit, plus on se vide. De l'autre côté du globe, dans l'Empire du Milieu, il y a une armée de travailleurs invisibles produisant sans cesse pour assouvir notre faim de consommation. On les appelle mingongs, ces ouvriers paysans, main-d'oeuvre bon marché... Méprisés par les citadins, ils bâtissent la Chine de demain...»

Pour reprendre un autre cliché, le monde de Karine Giboulo est «vraiment à découvrir».

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All You Can Eat, jusqu'au 7 février à la Galerie SAS, édifice Belgo, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 416. Ouvert du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h et le samedi, de midi à 17 h. Entrée libre.