Un tableau d'Henri Matisse, volé par les nazis à un homme d'affaires juif en 1941 en Allemagne et conservé depuis 1951 en France, a été officiellement rendu jeudi à ses héritiers mais il reste toujours des centaines d'oeuvres qui n'ont toujours pas retrouvé leur propriétaire.

Le tableau Le mur rose, de l'hôpital d'Ajaccio (1898) a été remis par la ministre française de la Culture Christine Albanel à Stewart Glyn, président de la branche londonienne de la Magen David Adom, l'équivalent israélien de la Croix-Rouge, héritière du collectionneur Harry Fuld Jr.

L'oeuvre, de petit format, était conservée au Centre Pompidou à Paris sous l'étiquette MNR (Musées Nationaux Récupération) qui signale ces oeuvres d'art emportées en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, et volées pour certaines à leurs propriétaires juifs.

Mme Albanel a indiqué que cette restitution «témoignait du long travail de mémoire et de justice accompli» ces dernières années notamment, par des expositions, la publication d'un livre et la mise en place d'un site Internet, initiatives demandées par une mission d'étude en 1997 sur la spoliation des Juifs en France.

M. Glyn a remercié la France, indiquant que le tableau allait être exposé au musée juif de Berlin, puis à Francfort chez son ancien propriétaire. Il a ensuite «espéré qu'un bienfaiteur» l'achète et l'offre à un musée d'Israël.

Le Matisse avait d'abord été acheté en France en 1914 puis rapporté à Francfort, portant de ce fait un tampon des douanes françaises.

Acquis ensuite par l'homme d'affaires allemand Harry Fuld Sr, il avait été volé par les nazis en 1941 en Allemagne et retrouvé, sans documentation, en 1948 dans une cache constituée par l'officier SS Kurt Gerstein. L'histoire de ce personnage ambigu avait notamment été portée à l'écran par le film Amen, de Costa Gavras.

Puis, le tableau avait été rapporté en France en raison de la présence du tampon des douanes.

Le travail d'une historienne allemande, Marina Blumberg, avec l'aide de la base de données MNR mise sur pied, a permis de retrouver la trace de son propriétaire, aujourd'hui décédé, de son héritière, également décédée, «et qui n'a jamais su qu'elle possédait un Matisse», selon M. Glyn.

Les MNR sont des tableaux, objets d'arts, pièces de mobilier, etc, partis de France, récupérés après la guerre et confiés à la garde des musées français.

Immédiatement après 1945, quelque 60 000 pièces avaient été récupérées, 45 000 rendues rapidement et 13 000 de moindre valeur vendues.

Restent aujourd'hui 2000 de ces oeuvres, dont un millier de tableaux signés Vlaminck, Delacroix, Ernst, Courbet, Fragonard ou de maîtres plus ou moins connus.

On estime que 10 % de ces 2000 pièces relèvent de spoliations avérées envers des familles juives, sans que l'on connaisse leur possesseur, indique Isabelle le Masne de Chermont, commissaire d'une récente exposition sur le sujet.

Depuis 1997, 41 de ces oeuvres ont été rendues, parmi lesquelles des tableaux signés Picasso, Léger, Monet ou Cézanne.

Restent un Utrillo, un Hubert Robert et des maîtres plus ou moins connus. «Au fur et à mesure que le temps passe, les oeuvres qui restent sont celles les moins documentées, donc plus difficiles à reclasser», explique la conservatrice.

Des 90 % restantes, pour certaines, on ne sait rien, d'autres ont été achetées légalement par les Allemands sur le marché de l'art. Restituées comme indemnités de guerre, elles resteront en France, tout en conservant l'estampille «Musées Nationaux Récupération».