L'anthropologue Edmund Carpenter a réuni au musée du quai Branly, à Paris, 500 oeuvres d'art inuit et yupiit, provenant de tous les côtés du cercle arctique. Elles sont présentées sous la dénomination «esquimau», qu'il assume.

C'est une immersion totale dans un lieu magique. D'une beauté d'autant plus mystérieuse que, dans un premier temps, les responsables de l'exposition n'ont pas franchement fait d'effort majeur pour faciliter la compréhension des visiteurs.

 

Nous voilà au tout nouveau et magnifique Musée du quai Branly, consacré aux arts premiers, au milieu d'une végétation rare à Paris. Dans la galerie Jardin, au rez-de-chaussée, une première grande exposition européenne d'art «esquimau», selon le terme délibérément utilisé par le commissaire Edmund Carpenter, né en 1922 et célèbre anthropologue des peuples du cercle arctique. Sous le titre Upside Down - les Arctiques, on y trouve quelque 500 oeuvres en provenance de Sibérie, d'Alaska, du Groenland, et du Grand Nord canadien. Dont une soixantaine d'objets prêtés par le Musée canadien des civilisations dOttawa.

Une exposition majeure qui, dans sa forme actuelle, a déjà commencé à hérisser les spécialistes, mais fascine par la beauté de sa scénographie: «Les responsables de l'expo ont voulu d'abord et avant tout mettre en valeur le caractère esthétique de cette civilisation et de ses objets. Et leur mystère. C'est une expérience sensorielle», dit-on au musée. D'où, sur les murs et les vitrines, une absence totale d'indications précises sur l'âge, l'origine et la signification des pièces exposées. Le mode d'emploi se trouvant en principe dans une brochure offerte aux visiteurs, mais qui reste très sommaire et incomplète. Des projections sur écran qui restent énigmatiques. Des masques (de chamans?) dont on ne sait pas qu'ils datent du XIXe siècle côtoient de petites pièces sculptées qui ont entre 1000 et 3000 ans.

Cela dit, le parcours est de toute beauté. On pénètre dans une vaste pièce nue, à la lumière diffuse rappelant celle du Grand Nord. S'il y fait froid, c'est qu'une épaisse couche de glace recouvre le sol. Dans la pièce suivante, on trouve sur un écran la «danse de bienvenue» d'un artiste yup'ik (de Sibérie?), la tête en bas. Sur la droite, un autre écran projette en continu les images changeantes de la banquise transmises en direct par une webcam. Le «passage» vers la salle principale est marquée par des objets sculptés enfouis sous un verre épais, comme sous la glace.

Dans la grande salle qui donne sur le jardin, inondée de lumière, les quelque 500 pièces sont disposées dans des vitrines. Sur la droite, une succession de masques yup'ik à dimension humaine. Et, occupant l'espace centrale, des vitrines rectangulaires avec ces minuscules sculptures qui semblent flotter dans le vide.

Au fond, d'autres vitrines, verticales et incurvées, qui ressemblent à des blocs de glace où seraient enterrés ces trésors vieux d'un ou deux millénaires: une belette sculptée dans une défense de morse, un ours nageant. Pendant ce temps, des haut-parleurs invisibles diffusent les bruits sourds de la banquise: le blizzard, les craquements de la glace, des bruits d'animaux.

Dans sa présentation, Edmund Carpenter, aujourd'hui très malade à 86 ans, persiste et signe: «Si les Inuits du Canada et du Groenland considèrent que le terme esquimau (mangeur de viande crue) est péjoratif, les Yupiit de Sibérie et d'Alaska ne traduisent pas le terme de la même manière et l'utilisent pour désigner l'ensemble des tribus et civilisations du cercle arctique. Il reste donc en usage en Russie et aux États-Unis...»