C’était la gloire de l’Empire. En octobre 1922, il y a 100 ans, la prestigieuse BBC diffusait sa première émission. Et précisément au même moment, on inaugurait CKAC. Montréal a ainsi abrité une des premières stations de radio au monde. Le journal La Presse en était alors propriétaire. Jusqu’en 1929, l’antenne se trouvait sur l’édifice de la rue Saint-Jacques. Durant les premières années, on diffusait en français et en anglais.

La métropole du Canada est alors à la fine pointe de la technologie. La filiale canadienne de l’inventeur italien Marconi est montréalaise. À Paris, Radiola, la radio publique française, ne l’a devancée que de quelques mois. Le mot « radiodiffusion » vient d’apparaître. Les stratèges des grilles horaires ne sévissent pas encore. Pourtant, pour la jeune station, « l’information est devenue une priorité », relève Pierre Pagé dans son Histoire de la radio au Québec. On mise sur des « nouvelles inédites », l’ancêtre des exclusivités. À 23 h, on met en ondes Le journal aujourd’hui, une imposante revue de presse. On est en 1928 !

Pendant des décennies, CKAC sera la station la plus écoutée au Québec, contribuera puissamment à la prolifération des récepteurs. On y retrouve des artisans qui laisseront leur marque : Roger Baulu, le « prince des annonceurs », et Jean-Louis Gagnon, le roi des journalistes à l’époque.

Saut dans le temps : 1970 est une date importante pour CKAC. Non seulement parce que la direction de la station doit rencontrer le cardinal Léger pour lui annoncer qu’on met fin à la diffusion du chapelet en famille, mais surtout parce que les jeunes membres du FLQ envoient par taxi leur « manifeste » à la station située dans l’édifice Art déco, à l’angle des rues Sainte-Catherine et Metcalfe.

« Les patrons étaient nerveux, se demandaient quoi faire, mais à Ottawa, le ministre Mitchell Sharp a annoncé que Radio-Canada serait autorisée à le lire en ondes. On l’a fait la veille », se souvient Louis Fournier, celui à qui on demandera de lire le manifeste. Il avait alors 25 ans.

Quelques jours plus tard, la station reçoit un coup de fil, on saura plus tard que c’est de Paul Rose. Un communiqué avec un croquis de l’aéroport de Saint-Hubert attend le jeune Mychel St-Louis à la Place des Arts. St-Louis se rendra sur place, avec Robert Nadon, photographe de La Presse.

Ses photos du coffre arrière ouvert de la Chevrolet verte feront le tour du monde. Le directeur de l’information, Normand Maltais, ouvre les ondes. Peu après minuit, d’une voix fébrile, St-Louis annonce la mort de Pierre Laporte. Le reporter a 23 ans.

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Prise par le photographe de La Presse Robert Nadon, cette photo de la découverte du corps de Pierre Laporte dans le coffre d’une Chevrolet verte a fait le tour du monde. Le jeune journaliste de CKAC Mychel St-Louis était avec lui.

Une pépinière de talents

Pendant des années, CKAC misera sur des jeunes à l’information. « Une pépinière incroyable de talents », résume Pierre Arcand, journaliste puis patron à la station. La liste est étonnante : Pierre Bruneau, Daniel Lessard, Jean Pelletier, Raymond Saint-Pierre, Gilbert Lavoie, Jacques L’Archevêque y font leurs premières armes dans les années 1970. Richard Desmarais, Jacques Camirand, Jacques Millette aussi. Tous feront des carrières remarquables de journalistes. Plus tard, ce sera les Alain Gravel, André Pratte, Michel Vien, Denis Ferland, tous recrutés dans la jeune vingtaine.

Première femme à couvrir les faits divers, Jocelyne Cazin a déjà les traits du « pittbull » qu’on retrouvera à J. E., celle qui apportait des beignes aux policiers portait chemise à carreaux et bottes Kodiak. Elle montait sur les trottoirs avec son auto pour contourner les rubans jaunes des scènes de crime. Du côté des animateurs, on trouvera des duos incontournables : Jean Duceppe et Réal Giguère, Jacques Proulx et Jacques Morency, Jean Cournoyer et Jean Lapierre.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Pascau au micro de CKAC

Dans les années 1980, L’informateur le midi avec Pierre Pascau sera l’émission la plus écoutée au Canada, en français comme en anglais. « J’écoutais As It Happens à CBC, plusieurs sujets qui déboulent rapidement, je trouvais que c’était la bonne formule si on faisait la même chose avec des informations locales », se souvient Pierre Arcand, alors directeur de la station. « La compétition, c’était alors Mathias Rioux et Jean Cournoyer. En deux sondages BBM, Pascau les avait délogés », explique-t-il. Intervieweur hors pair, « Pascau était parvenu à tirer des émotions de l’astronaute Marc Garneau, une personnalité très réservée », rappelle André Pratte.

« Tout le monde le fait »

Le slogan de la station ne fait pas dans l’humilité : « Tout le monde le fait, fais-le donc ! » On assiste à une compétition amicale entre Pascau et Suzanne Lévesque, qui le précède à l’antenne. À la blague, Rodger Brulotte dit ne pas être étranger à ce succès : à la fin des descriptions de matchs sur un rythme obsédant de Jacques Doucet et Brulotte, « les auditeurs fermaient le poste, qui se trouvait syntonisé à CKAC le lendemain matin ! ».

Louis-Paul Allard sera la caution sérieuse du Festival de l’humour, qui réunissait Roger Joubert, Pierre Labelle et Tex Lecor, artiste peintre connu pour ses insolences au téléphone, une émission du samedi qui aura aussi des sommets d’auditoires. Marcel Béliveau animera Le monde à l’envers, une formule qui devait dormir dans l’inconscient de Stéphan Bureau.

PHOTO RENÉ PICARD, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Duceppe dans les studios de CKAC

La publicité était déjà vitale pour la radio privée. « Mon père avait fait les premières publicités pour les St-Hubert BBQ, avec le “pout pout pout” », se souvient Gilles Duceppe. Homme de convictions, Jean Duceppe avait lu en ondes la publicité de Steinberg, mais les magasins de la chaîne étaient en grève. « Il a terminé en disant “ils sont en grève, allez donc chez Dionne (une ancienne épicerie de l’avenue du Mont-Royal, ndlr) !” Ç’a été la fin de son contrat, mais quelques semaines plus tard, il était à une autre station », se souvient l’ancien chef du Bloc québécois.

Week-end rouge

La station sur Metcalfe devient parfois l’épicentre de l’actualité. En octobre 1974, 2400 pompiers de Montréal débraient, les incendies se multiplient dans l’est de la ville, c’est le « week-end rouge ». Les leaders syndicaux sont en entrevue à la station, Matthias Rioux parvient à convaincre le maire Jean Drapeau de se rendre au studio. Il se retrouve en ondes avec le syndicat. « Le conflit s’est réglé dans le lobby de CKAC. Drapeau était furieux. Il s’est senti piégé, et a dit : “Je n’ai pas de rancune, mais j’ai de la mémoire !” », se souvient Raymond Saint-Pierre, directeur de l’information à l’époque.

Un incendie, une explosion : CKAC était vite sur place. « On était très flexible, on pouvait diffuser un son de qualité depuis une auto, on s’emparait vraiment des ondes », rappelle Saint-Pierre.

Il avait aussi obtenu une entrevue percutante avec Robert Bourassa, en exil à Bruxelles après sa défaite. Six heures de diffusion. Les moments forts sont nombreux : avant la campagne électorale de 1976, Saint-Pierre convainc Robert Bourassa et René Lévesque de participer à un débat radiophonique. Le gouvernement Bourassa est malmené sur les questions d’intégrité, mais sa réplique — « Citez-moi un cas ! » — laisse Lévesque sans voix.

Aux élections de 1985, un débat animé par Pierre Pascau oppose cette fois Bourassa à Pierre Marc Johnson. Le chef libéral s’en sort bien encore : « Quelle est la marge de manœuvre financière du Québec ? » La réponse de Johnson n’est jamais venue.

En décembre 2000, c’est au micro de Paul Arcand qu’Yves Michaud raconte sa chicane avec son barbier de confession juive. « C’est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui a souffert dans l’histoire de l’humanité », lance-t-il, agacé, déclenchant une controverse durable.

La force du direct

Le direct, l’apanage actuel des réseaux d’information continue, appartenait à la radio privée à l’époque, et à CKAC au premier chef. « Avant 1995, la radio était le principal média pour la couverture d’évènements en direct », résume André Pratte, reporter puis cadre à Télémédia, avant de passer à La Presse.

Jocelyne Cazin se rappelle encore quand elle avait obtenu d’entrer en ondes en plein match des Expos pour décrire un drame : trois pompiers venaient de perdre la vie dans un sinistre au centre-ville. Alain Gravel avait, lui, fait interrompre un entretien de Michel Vien avec Robert Bourassa. En plein coup d’État, à Port-au-Prince, « il y avait eu 52 morts, ils tiraient sur le monde et j’étais dans la foule. Une église à côté… caché dans la sacristie, j’avais pu trouver un téléphone », affirme Gravel.

Faire de l’information internationale avant l’internet était périlleux. « La mort du pape Jean-Paul Ier, c’est d’abord une dépêche d’une ligne de l’AFP sur le téléscripteur — on était à la merci des agences, se souvient André Pratte. On déclenche tout de même une émission spéciale, Michel Vien entre en ondes. On n’a rien, sauf une ligne de l’AFP. On téléphone aux cardinaux, aux évêques. Tout à coup sortent sur l’AFP quelques lignes biographiques sur le pape. Je les lis en ondes, annonce une pause… jusqu’à ce qu’un second paragraphe apparaisse. »

Une fusion étonnante

La fréquence originale de CKAC, 730 sur la bande AM, ne sert désormais qu’à informer sur la circulation. La cascade des transactions débute avec la vente de la station par La Presse à Télémédia en 1968. Radiomédia, Radiomutuel, Astral, Corus : les transactions se succédèrent.

Pour Paul Arcand, le 98,5 FM se situe dans le prolongement de l’esprit et de l’ambiance de CKAC à l’époque. « Ce sont deux formats de radio parlée. La marque CKAC était forte, et le format du 98,5 aujourd’hui est carrément inspiré de CKAC », observe-t-il.

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Paul Arcand, à droite, avec le regretté Jean Lapierre, lors du dévoilement de la programmation de CKAC en 2002

Il se souvient du vendredi de 1994 où ses patrons de Radiomutuel lui annoncent la fermeture du réseau acheté par Astral. « Un vendredi, j’ai fermé la station avec de la musique un peu soviétique. Dès le lundi, je me retrouvais à CKAC à l’antenne avec Paul Houde, jusqu’ici mon concurrent ! Ce mariage forcé, c’était quelque chose ! » Paul Arcand développera d’excellentes relations avec Houde comme avec Jean Lapierre. Il sera dix ans à CKAC avant de passer au 98,5 FM.

Auparavant, la concurrence entre les réseaux était farouche. « Le directeur de l’information m’avait prévenu : tu écoutes Claude Poirier le matin, tu ne reprends pas ses nouvelles, il est souvent dans l’erreur. Mais tu me téléphones tout de suite, par exemple ! », se souvient Daniel Lessard, arrivé à CKAC en 1970.

Les prises d’otages après un hold-up raté étaient monnaie courante. À l’antenne de CKAC, l’animateur Matthias Rioux parvient à avoir l’auteur d’un de ces crimes au téléphone. « Le voleur répond, en ondes : je n’ai pas besoin de toi ! Claude Poirier, ton compétiteur, est en route pour venir nous voir ! », dira Pierre Arcand dans un éclat de rire.

Rectificatif

Ce texte a été modifié pour corriger une citation de Gilles Duceppe, qui, dans une anecdote au sujet de son père Jean Duceppe, faisait allusion à l’épicerie Dionne et non à la défunte chaîne d’alimentation Dominion.