Quelle critique nos journalistes regrettent-ils d’avoir écrite ? Ont-ils déjà eu des mots trop durs pour des artistes ou des œuvres ? Ou, au contraire, ont-ils été trop enthousiastes ? À l’occasion de l’introduction de la cote sur 10 dans La Presse, voici leurs témoignages.

Émilie Côté : l’âge de Madonna

C’est particulièrement stressant d’écrire du Centre Bell. Les quelque 20 000 personnes présentes ont payé très cher leur billet. Elles en veulent pour leur argent, et non se faire dire qu’elles ont vu un mauvais show. Les conditions d’écriture s’avèrent aussi difficiles. Le spectacle peut débuter à 21 h 30 et se terminer à 23 h 30, juste avant notre heure de tombée. Au fil du temps, la technologie nous a permis d’assister aux spectacles jusqu’à la fin et non de rentrer au journal pour rédiger nos comptes rendus. Or, nous écrivons maintenant nos textes en direct avec nos ordinateurs portables sur les genoux sous les cris stridents de la foule. Écrire à chaud comporte son lot de risques de faire des fautes de frappe ou de titres de chansons. Mais il y a surtout le danger d’écrire des choses qu’on aurait écartées de notre version finale avec plus de recul. C’était le cas avec ma critique – plutôt sévère – du spectacle de Madonna au Centre Bell en 2015 pour sa tournée Rebel Heart. J’avais vu la star de la pop plusieurs fois avant, mais cette fois-ci, j’étais déçue. Or, je n’aurais pas dû faire preuve d’âgisme comme je l’ai fait en soulignant trois fois son âge de 57 ans. Mes plus sincères excuses, Madonna !

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Chantal Guy : se faire confiance

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

David Boutin et Lucie Laurier dans La grande séduction, sorti en salle en 2003.

J’ai écrit de bonnes et de mauvaises critiques dans ma carrière, mais il y en a une seule qui me gêne, même si elle est plutôt positive, car elle n’a pas été écrite avec toute ma sincérité. J’étais une jeune journaliste débutante, qui manquait de confiance en elle, et j’avais vu en projection de presse La grande séduction de Jean-François Pouliot, d’après un scénario de Ken Scott. Dans la salle, j’étais entourée de vieux critiques cyniques de magazines spécialisés qui avaient passé leur temps à râler contre le film et, soucieuse d’être prise au sérieux, je m’étais presque forcée pour inclure des bémols boiteux à ma critique – ainsi que des parallèles douteux sur la ménopause. En vérité, j’avais vraiment aimé ce film-là et j’aurais dû écouter mon instinct plutôt que de me laisser influencer par des spectateurs aigris. J’ai compris qu’on peut se tromper en écrivant une critique – ça arrive souvent – mais qu’il faut toujours être en accord avec soi-même lorsqu’on pratique ce métier. Car on n’écrit pas pour les collègues ni pour les artistes, mais pour le lecteur du journal et pour soi.

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Stéphanie Morin : l’art de gâcher son plaisir

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR LE QUAT’SOUS

James Hyndman et Évelyne de la Chenelière dans Scènes de la vie conjugale

Si on me le permettait, je réécrirais sans doute la critique de Scènes de la vie conjugale, présentée au Théâtre de Quat’Sous en 2019. Cette pièce avait été adaptée du mythique film d’Ingmar Bergman par James Hyndman, qui signait aussi sa première mise en scène et tenait le rôle principal de Johan. Fausse bonne idée de ma part : pour me préparer, j’ai décidé de visionner le film la veille de la première. On fait difficilement mieux pour se brouiller l’esprit et gâcher son plaisir. Du coup, j’ai eu du mal à accepter la proposition de Hyndman qui, à mes yeux, manquait de souffle. L’adaptation présentée sur les planches ne pouvait soutenir la comparaison face au chef-d’œuvre bergmanien. Forcément. A posteriori, cette production comportait de nombreuses qualités, notamment sur le plan de la scénographie très inventive et de l’interprétation. J’ai compris depuis qu’il faut parfois éviter de se plonger jusqu’au cou dans les romans ou les films qui servent d’inspiration aux arts de la scène. Et je ne lis plus les textes dramatiques avant d’assister aux spectacles. Pour se laisser séduire, il faut savoir garder une certaine dose de virginité…

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PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Natasha St-Pier sur scène au Monument-National en mai 2002

Alexandre Vigneault : trop dur avec Natasha St-Pier

Il y a 20 ans, Natasha St-Pier lançait De l’amour le mieux, son deuxième disque, que j’avais qualifié de prévisible et jetable. J’ai été plus dur encore lorsqu’elle est montée sur scène au Monument-National en mai 2002 : « Elle est parfois si absente qu’on passe le plus clair de notre temps à regarder ailleurs, un musicien, un instrument, le voisin de droite, le bout de ses souliers… L’ennui, quoi », ai-je écrit. Ce n’était pas un bon spectacle, et ses chansons ne transcendaient rien. J’aurais toutefois dû la prendre pour ce qu’elle était à ce moment-là : une chanteuse en début de parcours. Lever le nez sur la pop commerciale était aussi un réflexe de jeune critique qui cherche à se positionner parmi les autres critiques. Erreur. On n’est pas obligé de tout aimer, mais aborder les choses avec mépris ne vaut pas mieux que de faire preuve de complaisance. Dix ans plus tard, lors d’une reprise de la comédie musicale Don Juan, je me suis un peu rattrapé : elle possédait la voix la plus riche de toute la distribution, qu’elle dominait largement. Je l’ai écrit. Tout simplement.

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Danielle Bonneau : excès d’enthousiasme

PHOTO FOURNIE PAR DISNEY

Une scène du film Dumbo

Pour ma première affectation en cinéma, j’ai été catapultée à Los Angeles pour la sortie de la version en prise de vues réelles du grand classique de Disney, Dumbo. C’était avant la pandémie, quand des studios invitaient un nombre restreint de journalistes à rencontrer les artisans de leurs films. Je me suis retrouvée dans la même pièce que le célèbre réalisateur Tim Burton, avec une quinzaine de membres de la presse internationale. J’ai assisté à une conférence où étaient notamment réunis Danny DeVito, Michael Keaton, Colin Farrell et Eva Green. Quand est venu le temps d’écrire la critique, j’ai péché par excès d’enthousiasme. J’ai été séduite par les images léchées et j’ai été touchée par la candeur du mignon éléphant Dumbo. Mais je n’avais pas la distance requise pour reconnaître la faiblesse des personnages et les contorsions trop nombreuses du scénario, qui n’ont jamais permis à l’histoire de prendre son envol. J’ai attribué 4 étoiles au long métrage, qui est pratiquement tombé dans l’oubli. Je suis depuis beaucoup plus sélective.

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Marc Cassivi : un titre à oublier

Ce n’est pas tant une critique que je regrette que son titre. C’était à l’époque où l’on n’accordait pas encore de notes aux films. J’avais la mi-vingtaine et j’avais coiffé ma critique du film Inséparables de Michel Couvelard du titre « Un film français », qui avait des airs de préjugé et de généralisation. Je ne me souviens absolument pas du premier (et seul) long métrage de Couvelard, qui « ennuie un peu par sa lenteur, son manque de fantaisie et d’inspiration », écrivais-je. Il mettait en vedette Jean-Pierre Darroussin et Catherine Frot, « si juste ensemble dans l’irrésistible Un air de famille », avais-je ajouté. Je me souviens en revanche que mon ami Alexandre m’avait reproché, avec raison, ce bien mauvais titre.

Pascal LeBlanc : j’ai (trop) aimé le dernier Star Wars

PHOTO FOURNIE PAR LUCASFILM

Adam Driver et Daisy Ridley dans Star Wars : The Rise of Skywalker

L’univers créé par George Lucas me fascine depuis l’enfance. Comme pour plusieurs, la première trilogie est à l’origine de mon amour indéfectible. Alors, en 1999, lorsque, pour la première fois de ma vie, j’allais voir un nouvel épisode en salle, mes attentes n’avaient d’égales que ma hâte. La déception fut énorme. Les deux films suivants m’ont davantage plu, mais rien comme les originaux. Ainsi, en 2015, quand une troisième trilogie fut lancée, mon optimiste était modéré. The Force Awakens est toutefois parvenu à me redonner espoir. N’ayant pas appris de mes erreurs, je misais sur The Last Jedi pour m’épater. Le film compte d’excellents moments, mais de trop nombreux passages atroces. Donc, quand la conclusion de cette saga arriva, je ne m’attendais plus à rien. À ma grande joie, j’ai adoré ! Dans les circonstances, je trouvais que J.J. Abrams bouclait admirablement bien la boucle. Je n’ai pas autant aimé The Rise of Skywalker quand je l’ai revu – ses failles me sont apparues –, mais il est loin d’être le pire de la série, en dépit de ce que certains « fans » ne cessent de clamer.

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Dominic Tardif : je regrette ma première fois

Il est de bon ton, chez certains artistes amers, d’affirmer qu’aucun enfant n’a jamais rêvé de devenir critique, autrement dit, qu’il ne peut s’agir que d’un risible plan B. Et je suis heureux, chaque fois que j’entends pareille sottise, de leur répliquer (dans ma tête) que j’ai signé ma première critique au tendre âge de 11 ans, dans le journal de l’école Les Terrasses de Trois-Rivières-Ouest. Le sujet en était All the Pain Money Can Buy, deuxième album de la formation Fastball, qui connaissait son heure de gloire grâce à la chanson The Way et qui me remerciera sans doute un jour d’avoir proclamé, avec les mots d’un gamin, que ce disque marquerait l’histoire du rock. En rétrospective, mon texte marquait surtout le début d’une longue liste de critiques que je réécrirais en des termes différents si j’en avais l’occasion, bien que je tente toujours, à 36 ans, de demeurer fidèle à l’enthousiasme débordant du jeune Dominic, pour qui Claude Rajotte était comme un guide spirituel. Et Fastball ? Le groupe n’a pas marqué l’histoire du rock, mais sera en spectacle samedi à l’Adventureland Campground, un camping d’Altoona, en Pennsylvanie.