Les sceptiques ont été confondus : la réforme des lois sur le statut de l’artiste déposée à la fin du mois d’avril par la ministre Nathalie Roy a été adoptée vendredi par l’Assemblée nationale à la suite d’un processus d’étude accéléré.

La Coalition avenir Québec (CAQ) avait fait de la modification des lois sur le statut de l’artiste une promesse électorale et elle a été tenue puisque sa réforme (le projet de loi 35) a été adoptée vendredi. Ce n’était pas gagné : le projet de loi n’a été déposé qu’à la fin du mois d’avril et a fait son chemin en bénéficiant d’un processus d’étude accéléré soutenu par les partis de l’opposition. Il en est ressorti plusieurs amendements, dont certains que la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, qualifie de « majeurs ».

L’un d’eux vient colmater une brèche importante qui coupera l’herbe sous le pied des producteurs qui créent des entreprises et les ferment sans avoir payé les artistes impliqués. Dans le milieu, on appelle ça des « coquilles vides ». Le projet de loi 35 a ainsi été bonifié par l’ajout d’une disposition qui existait dans la Loi sur les sociétés par actions destinée à donner des recours aux travailleurs lésés.

« Ça va permettre aux artistes de réclamer des sommes qui leur sont dues, des cachets qui leur sont dus, directement des administrateurs d’une société, expose la ministre Roy. Avant, ils ne pouvaient pas, ils ne pouvaient que poursuivre la société et si elle était fermée, ils perdaient leur recours et leur argent. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Sophie Prégent, présidente de l’Union des artistes

Sophie Prégent, présidente de l’Union des artistes (UDA), qui parle de la nouvelle loi comme d’une « avancée historique pour les artistes », juge « majeur » cet amendement qui rendra les administrateurs des sociétés responsables. « Ce n’est pas que tout le monde agit comme ça dans le milieu, mais ceux qui le font le font trop souvent et on n’avait pas de poigne juridique. Avec cet article-là, on va en avoir, dit-elle. Quelqu’un [qui aurait fait ça] ne pourra pas être largement financé par l’État pour faire un deuxième film s’il a encore des comptes à rendre. »

La ministre se réjouit de l’appui des partis de l’opposition et de la collaboration des autres ministères qui ont rendu possible l’adoption rapide de cette nouvelle loi.

On n’a plus deux catégories d’artistes, mais une seule catégorie d’artistes professionnels au Québec, qui jouissent tous des mêmes mesures de protection, des mêmes pouvoirs, des mêmes ressources lorsqu’il est question de négocier des ententes collectives de travail.

Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications

« On savait que les partis allaient travailler ensemble, dit Laurent Dubois, directeur général de l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ). Je pense que c’est ce qu’il faut souligner : d’abord, la capacité d’écoute de la ministre et de ses équipes et l’approche non partisane. Ça fait de ce projet de loi quelque chose d’assez fort. »

Une fusion de deux lois

Le projet de loi 35, officiellement intitulé Loi visant à harmoniser et à moderniser les règles relatives au statut professionnel de l’artiste, fusionne les deux lois qui définissaient jusqu’ici le statut de l’artiste et encadre les conditions de travail, ce qui permettra désormais à tous les artistes de négocier des ententes collectives. Il élargit notamment les compétences du Tribunal administratif du travail – évitant ainsi aux personnes qui se sentent lésées de passer par un processus judiciaire long et coûteux – et intègre des dispositions en matière de harcèlement psychologique.

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Arnaud Foulon, président de l’Association nationale des éditeurs de livres

Les réformes imposées par la loi apporteront des changements importants dans le milieu culturel. « C’est un changement de paradigme complet », dit Arnaud Foulon, président de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), qui avait exprimé son inquiétude face au projet de loi, alors que son vis-à-vis, l’UNEQ, l’avait accueilli avec enthousiasme.

« Notre première inquiétude, c’est qu’on est dans une industrie culturelle, le livre, où il y a beaucoup de petits acteurs : 40 % des membres de l’ANEL ont un chiffre d’affaires de moins de 300 000 $, relève M. Foulon. C’est quand même une réalité qui n’est pas celle de la télévision ou d’autres milieux culturels et il faudra en tenir compte au moment où on arrivera avec d’éventuelles conventions collectives. » L’ANEL souhaite néanmoins avancer « main dans la main » avec les auteurs, précise-t-il.

« On vient de faire un pas vers du progrès social, du dialogue social, souligne pour sa part Laurent Dubois, de l’UNEQ. On ne veut pas imposer notre modèle, on veut discuter des modalités qui prévalent dans notre milieu. » L’UNEQ se dit ouverte à discuter de bonne foi, mais entend se servir des outils désormais à sa disposition devant un éditeur qui chercherait à fuir son obligation de négocier.