Le cours s’intitulait « Musique et grandes époques de l’art ».

À l’Université Laval, j’ai eu les oreilles et les yeux ouverts comme jamais en écoutant Pierre Lapalme (fils érudit et discret du grand Georges-Émile) raconter le monde par la rencontre de deux formes d’art. C’est l’histoire avec un grand H qui s’engouffrait du même coup, alors qu’elle était honteusement absente des écoles secondaires.

Plein d’informations peuvent rapprocher un peintre et un compositeur : un contexte historique, des parcours de vie, des influences, des préoccupations ou des sensibilités communes. Pierre Lapalme explorait tous ces passages, toutes les correspondances possibles, des plus objectives aux plus intimes.

Correspondances, c’est justement le titre d’un poème de Baudelaire, souvent évoqué pour parler de la rencontre des arts :

Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Le sulfureux Baudelaire parle certainement d’expérience sensorielle plus que de théorie esthétique : la véritable rencontre, c’est celle que nos sens reconnaissent.

La salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal propose d’ailleurs chaque saison des prolongements musicaux aux expositions présentées. « Cette question des correspondances entre les arts m’a hantée depuis le début, dit Isolde Lagacé, directrice de la salle depuis son ouverture en 2011. Je suis une grande amatrice d’art, mais assez généraliste, ayant une formation beaucoup plus solide en musique. Comment faire le lien ? Je me pose encore la question, mais ne suis plus gênée ! »

Certains cas sont plus simples que d’autres : l’exposition Chagall : couleur et musique a facilement généré une douzaine de concerts. L’exposition Alexander Calder : un inventeur radical a donné lieu, entre autres, à un concert où la musique de son époque était mise en mouvement comme ses mobiles, par des artistes circassiens.

Créer un concert inspiré par l’exposition Grafik ! Cinq cents ans d’art graphique allemand et autrichien, qui se tient jusqu’au 4 juillet, était moins évident.

Il y a chaque fois une collaboration étroite avec le conservateur chargé de l’exposition, on réfléchit à la période, au contexte historique, on identifie les musiciens contemporains.

Isolde Lagacé, directrice de la salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal

Pour Grafik !, elle a parcouru l’exposition avec le conseiller musical François Filiatrault et la musicienne Dorothéa Ventura, accompagnés par le conservateur Hilliard Goldfarb.

Dorothéa, qui dirigera l’ensemble Alkemia en concert ce mardi à Bourgie, avait comme mission d’évoquer en musique les gravures du XVIsiècle, dont celles d’Albrecht Dürer : « On a identifié des figures qu’on retrouve dans la musique de l’époque : angelot qui joue du luth, rencontre amoureuse, présence de la Vierge. » Des pièces profanes et sacrées portant ces thèmes seront chantées et jouées sur des instruments d’époque. « François Filiatreault nous a parlé de Stoltzer, un compositeur considéré comme l’équivalent musical de Dürer. »

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IMAGE FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX ARTS DE MONTRÉAL, MUSÉE DU LOUVRE, DON DU BARON EDMOND DE ROTHSCHILD

Albrecht Dürer, L’adoration des mages, 1511, gravure sur bois

Oui, mais encore : je demande à Dorothéa quelles sont les correspondances intimes entre ces œuvres musicales et picturales. Elle réfléchit, on dirait qu’elle revoit les gravures en pensée. « Une virtuosité qui n’est pas au premier plan, mais au service du propos. Un grand sens du détail, qui nourrit une expression profonde. Et c’est aussi une leçon sur l’ornementation, qu’on ajoute toujours dans la musique de cette époque : encore là, elle enrichit, mais ne doit pas dominer. »

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IMAGE FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE MONTRÉAL, DON DE FREDA ET IRWIN BROWNS

Georg Pencz, Abraham et Agar épiés par Sarah, vers 1548, burin, état unique

La deuxième partie du concert se tourne vers le XXe siècle. Le violoncelliste Stéphane Tétreault et le pianiste Olivier Hébert-Bouchard vont jouer des œuvres d’Anton Webern et de Paul Hindemith. Ils interpréteront aussi une pièce de Lyonel Feininger, à la fois musicien et artiste visuel, à qui on doit la couverture du Manifeste et programme du Bauhaus, présentée dans l’exposition. Pas de projection d’œuvres dans la salle de concert, mais plusieurs d’entre elles sont reproduites dans le programme.

Tout ça est bien ficelé, il reste à le vivre !

Consultez le site web de l’exposition Grafik ! au MBAM

Sons et couleurs

Par une série de capsules vidéo, la salle Bourgie sort de ses murs et amène des musiciens jouer au milieu des œuvres du Musée des beaux-arts de Montréal.

Dans une toile de De Witte qui rappelle la célèbre Leçon de musique de Vermeer, on voit une femme de dos, jouant du virginal, un cousin ancien du clavecin, de forme rectangulaire. L’idée est aussi simple qu’efficace : Mélisande McNabney joue sur un instrument du même genre, comme s’il était sorti de la toile.

Chaque lundi, une nouvelle capsule s’ajoute. Ce lundi, Yuki Isami joue de la flûte de bambou appelée shinobue, dans la collection d’art japonais.

Consultez le site web du projet Sons et couleurs